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le désespéré

doit lui peser quelque chose de la monstrueuse iniquité de son bonheur !


III


L’imploration postale de ce Marchenoir, au prénom si étrange, était donc doublement inhabile. Elle étalait une complète misère, la chose du monde la plus inélégante aux yeux d’un pareil dandy de plume, et laissait percer, dans les dernières lignes, un vague, mais irrémissible mépris, dont l’infortuné pétitionnaire, inexpert au maniement des vanités, et, d’ailleurs, anéanti, ne s’était pas aperçu. Il avait même cru, dans son extrême fatigue, pousser assez loin la flatterie et il s’était dit, avec le geste de lancer un trésor à la mer, que son effrayante détresse exigeait un tel sacrifice.

Dulaurier et lui ne se voyaient presque plus, depuis des années. Une sorte de curiosité d’esprit les avait poussés naguère l’un vers l’autre. Pendant des saisons, on les avait vus toujours ensemble, — la misanthropie enflammée du bohème qui passait pour avoir du génie, faisant repoussoir à la sceptique indulgence de l’arbitre futur des hautes finesses littéraires.

Dès la première minute de succès, Dulaurier sentit merveilleusement le danger de remorquer plus longtemps ce requin, aux entrailles rugissantes, qui allait devenir son juge et, suavement, il le lâcha.

Marchenoir trouva la chose très simple, ayant