Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/167

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comme son premier César, des millions de brutes à gueule humaine déferlèrent. Les Goths, les Vandales, les Huns et les Francs s’assirent, en ricanant, sur leurs boucliers, et se laissèrent glisser en avalanches, contre toutes les portes de Rome qui creva sous la poussée. Le Danube, gonflé de sauvages, se répandit en inondation sur les latrines du Bas-Empire. Du côté de l’Orient, le Chamelier Prophète, accroupi sur la bouse de son troupeau, couvait déjà, dans son sein pouilleux, les sauterelles affamées dont il allait remplir les deux tiers du monde connu. On se battait, on s’éventrait, on se mangeait les entrailles, pendant huit cents ans, de l’extrémité de la Perse aux rivages de l’Atlantique. Enfin, la grande charpente féodale s’installait dans le gâchis des égorgements.

On crut que c’était l’étançon d’une Jérusalem quasi céleste qu’on allait construire, et il se trouva que c’était encore un échafaud. Même la Chevalerie, la plus noble chose que les hommes aient inventée, ne fut pas souvent miséricordieuse aux membres souffrants du Seigneur, qu’elle avait mission de protéger. Même les Croisades, sans lesquelles le passé de l’Europe serait un peu moins qu’un amas d’immondices, ne furent pas sans l’horrible traînée de toutes les purulences de l’animal responsable. Pourtant, c’était l’adolescence au cœur brûlant, c’était le temps de l’amour et de l’enthousiasme pour le christianisme ! Les saints, il y en eut alors, comme aujourd’hui, une demi-douzaine par chaque cent millions d’âmes médiocres ou abjectes, — à peu près, — et l’odieux bétail qui les vénérait, après leur mort, fut quelquefois obligé d’emprunter de la boue et de la salive pour les conspuer à son plaisir, quand il