Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/197

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rue des Fourneaux, on l’y voyait presque tous les jours. Il avait même résolu de s’y fixer au plus prochain terme. Dans les six dernières semaines, il avait été régulièrement prendre des nouvelles de Véronique, lire avec elle les lettres de l’absent, et il pouvait témoigner de l’uniformité parfaite de sa vie, — jusqu’au jour où cette fille de prière et d’holocauste spontané, ayant reçu le message de la Grande Chartreuse, avait accompli, sans l’avertir, l’acte inouï qu’il lui fallait maintenant raconter à ce malheureux homme, pour lequel il aurait volontiers souffert et qui lui commandait de l’égorger.

Il raconta donc ce qu’il savait, ce qu’il avait vu ou compris. Son émotion était si grande, qu’il balbutiait et sanglotait presque, ce dialecticien rapide et précis. Il pâtissait en trois personnes, comme Dieu voudrait pâtir, s’affolant et s’évanouissant de douleur sous la blessure ouverte de ces deux âmes, qui ne pouvaient saigner que sur la sienne !

Quant à Marchenoir, il avait assez à faire de ne pas expirer sous la barre qui le rompait, comme un vulgaire assassin qu’il s’accusait d’être. À chaque détail, il poussait un han ! caverneux, en crispant ses poings, et grinçait des dents comme un tétanique. Seulement, il voyait plus loin que Leverdier et connaissait mieux sa Véronique. Il discernait, à travers la buée de son supplice, à lui, une immense beauté de martyre, que cet homme de petite foi ne pouvait apercevoir dans son plan surnaturel, et il rencontrait ainsi un principe de consolation future dans le paroxysme même de son désespoir.

Or, voici ce qui s’était passé. Véronique avait reçu la lettre, il y avait environ huit jours. Leverdier