Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/208

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main, en revoyant Véronique. Le pauvre garçon avait reçu un coup terrible dont il restait assommé. Cette figure charmante, qui avivait pour lui les grises couleurs de la vie et qui leur versait à tous deux l’espérance, elle n’existait plus. Elle était affreusement, irrémédiablement changée. Il n’y avait plus de beauté du tout. Telle fut, du moins, son impression. C’était vrai qu’il l’avait vue déformée par la fluxion, battue par les souffrances et que, maintenant, après une semaine, ces accidents avaient disparu. Mais cette bouche complètement édentée, il ne pouvait plus la reconnaître et le souvenir de ce qu’elle avait été, la lui faisait paraître épouvantable.

Le premier jour, il s’était trouvé sans parole, privé d’intelligence, asphyxié de douleur, à moitié fou. Il avait fallu que Véronique elle-même le ranimât, lui disant à peu près : C’est moi seule qui ai voulu cette chose. Avais-je un autre moyen d’obéir à la lettre que voici ? Et elle lui avait donné la lettre de Marchenoir, qu’il n’avait pu lire en sa présence, mais qu’il avait emportée chez lui, en prenant la fuite, abruti par l’étonnement, ivre de chagrin et de remords. Car il s’accusait d’être un dépositaire sans vigilance, odieusement infidèle. Il aurait dû deviner, empêcher. Mais aussi, cette lettre était d’un aliéné. Comment Marchenoir, connaissant cette âme excessive, capable de toutes les résolutions, avait-il pu l’écrire ?

Leverdier était en proie à un mélange de désespoir et de rage qui lui faisait, en parlant, sauter le cœur hors de la poitrine. Quelque expérience qu’il crût avoir de ses deux amis, il y avait, malgré tout, certaines choses qu’il ne pouvait pas arriver à com-