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Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/275

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autrefois l’envie d’un peuple de prostituées. Aussitôt qu’il eut été décidé qu’on vivrait ensemble au désert, Véronique avait accompli, sans ostentation et sans phrases, l’acte légendaire d’envoyer son mobilier à la salle des ventes, retenant à peine quelques indispensables hardes, et de porter elle-même l’argent à divers établissements de charité que lui désigna Marchenoir, — ne voulant rien garder, disait-elle, de ce qu’elle avait mangé dans la main du Diable !

Sa chambre, où les moins minables engins de leur félicité domestique avaient été réunis, en dépit d’elle qui se fût contentée de rien, rappelait assez les intérieurs des pieuses isbas, éclairés par de perpétuelles lampes allumées devant les figures propices des iconostases. Une petite veilleuse, à lueur rose, était suspendue au devant du grand crucifix pâle, et une autre semblable, mais un peu plus grande, teignait vaguement d’incarnat une haïssable reproduction lithographique de la Sainte Face, telle qu’on la vénérait chez M. Dupont, « le saint homme de Tours », qui a propagé en France cette dévotion, — malheureusement assortie de la contradictoire imbécillité d’un art profanant.

Ah ! ce n’était pas bien beau, ces deux images, et Marchenoir en avait plus d’une fois gémi en secret. Mais Véronique portait en elle l’esthétique de toutes les situations imaginables, elle aurait donné le relief de son propre sublime à la platitude même et spiritualisé de son souffle jusqu’à des goîtreux. Elle avait passé des journées, des nuits entières, dans le crépuscule de cette chambre aux persiennes toujours closes, — comme les persiennes d’un mauvais lieu, — conversant avec Dieu et avec ses saints, ayant