Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/300

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sile, avait dû triompher de tentations terribles et subir de sacrés assauts, car sa vengeance était trop facile !

Mais, bientôt, Magnus lui-même se chargea de venger tout le monde. Atteint d’une blessure au pied, que la putridité de son sang rendit promptement incurable, dévoré par la gangrène et souffrant d’atroces tortures, il termina sa vie par l’ignoble pendaison volontaire dont les détails ont écœuré plusieurs virtuoses du suicide.

Properce Beauvivier n’apportait pas, il est vrai, une moralité bien supérieure. Cependant, les deux ou trois demi-douzaines d’artistes que le prédécesseur n’avait pas eu le temps d’étrangler, respirèrent. C’est que Beauvivier avait en raison, sans doute, des paradoxales difformités de son âme, une prédilection infernale pour le talent ! Aussi longtemps que ses propres intérêts ne seraient pas en jeu, on pouvait y compter jusqu’à un certain point. Il était bien certain, par exemple, qu’il faudrait une pression extérieure de tous les diables pour lui faire accepter de la prose du bossu Ohnet, au préjudice d’un écrivain de dixième ordre, et même en l’absence de toute compétition.

Canaille pour canaille, c’était bien quelque chose, aussi, d’avoir affaire à un homme qui ne fût pas exclusivement un goujat, qui n’eût pas uniquement en vue, quoique juif, l’encaissement du numéraire, et qui fût capable de comprendre à peu près, quand on lui ferait l’honneur d’avoir besoin d’en être écouté. On se prit à rêver la chimérique aubaine d’un Basile redevenu littéraire, comme aux jours lointains de sa fondation. On espéra que le seul fait de savoir écrire