Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/345

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hâte, aussitôt après, d’accepter un duel avec le plus vil d’entre eux ? Car ce pauvre diable a choisi, — tout le monde en conviendra, — l’adversaire le plus capable de l’égorger de ridicule, en supposant que l’autre manière n’eût pas réussi. Le courage de cette absurde victime est, d’ailleurs, incontestable. Son livre, quoique mal bâti et plus faiblement écrit, lui faisait assez d’honneur. Il a été mal payé d’en désirer davantage. Quant aux circonstances mêmes du duel, elle me sont indifférentes. Le caractère connu du meurtrier autorise le moins informé des Parisiens à préjuger hardiment l’assassinat. Seulement, il est heureux pour lui que je ne sois pas le frère du défunt…

Cela fut débité d’un ton exquis dont Marchenoir s’étonna lui-même. — Ils veulent me faire bramer comme un jeune daim, pensait-il, je vais leur dire tout ce qu’ils voudront, du même air que je commanderais une portion de tripes dans un restaurant.

— Que feriez-vous donc ? interrogea, à son tour, Denizot, qui passe généralement pour un oracle en matière de point d’honneur.

— Je l’assommerais sans phrases et sans colère… rien qu’avec un bâton, répondit suavement Marchenoir, en regardant son assiette, pour ne pas voir le monocle du plus spirituel de nos chroniqueurs.

L’attention devint générale. Le réfractaire excitait visiblement la curiosité. Il se souvint, par bonheur, du « complet triomphe » dont Beauvivier l’avait assuré, la veille, en le congédiant, et ce fut avec une vigueur extraordinaire qu’il serra ses freins.

— Si je vous entends bien, dit alors le vicomte de