Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/369

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sommes un milliard de fois plus infortunés, nous autres, les déshérités de votre présence, qui n’avons même pas le décevant réconfort de savoir en quel lieu de votre univers vous dormez votre interminable sommeil !

Ces objurgations, que les docteurs de la Loi eussent condamnées, il ne pouvait s’empêcher de les renouveler sans relâche. C’était la respiration de son âme, quand il s’exhalait vers le ciel, et, — depuis la mort du prêtre qui lui avait autrefois ouvert l’entendement, — il n’avait pu rencontrer que Véronique dont le simple esprit ne se scandalisât pas de cette impétueuse façon de parler à Dieu.

Le souvenir de la chère créature se mêlait, par conséquent, à sa prière et traversait en flèches de flamme ses exaltations prophétiques. Il s’enroulait à ses pensées les plus hautes et participait de leur enthousiasme. Il trouvait, analogiquement, sa place dans les péripéties et les phases liturgiques du vaste drame de propitiation qui s’accomplissait sous les yeux du contemplatif obsédé.

Lorsqu’après l’instruction dominicale du curé ou de son vicaire, — que Marchenoir, au fond de sa chapelle, se félicitait de ne pas entendre, — l’orgue, venant à tonner à la parole de l’officiant, promulguait, une fois de plus, en accompagnant les voix des chantres, cet antique Symbole de Nicée dont quinze siècles n’ont pas encore épuisé l’adolescence, le solitaire était, malgré tout, avec Véronique, dans le houlement grégorien des douze articles incommutables. La chair se taisait, sans doute, et la bien-aimée se transfigurait à la lumière des aperceptions extra-ter-