Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/373

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la trépassante gardait le secret. Ils ne se parlaient donc presque plus, s’épouvantant eux-mêmes du despotisme de ce silence qui s’asseyait dans leur maison.

Bientôt ils ne se virent qu’aux heures des repas, rapidement expédiés et plus tristes encore que les autres événements quotidiens de leur vie commune, excepté les jours où Leverdier venait interrompre de sa présence les suffocations insoupçonnées de ce tête-à-tête. Le brave homme, à cent lieues de deviner les tortures infinies qu’on lui cachait avec le plus grand soin, parlait du Symbolisme à Marchenoir, heureux de s’ensevelir sous cette couverture intellectuelle qui lui servait à tout abriter. Puisque, de part et d’autre, on jugeait le mal sans remède, pourquoi contrister à l’avance un si tendre ami ? Il souffrirait toujours assez tôt, le pauvre diable, quand viendrait le dénouement, nécessairement funeste, que les deux infortunés apercevaient plus ou moins distinct, mais inévitable.

Une nuit, le damné, seul dans sa chambre, ayant passé plusieurs heures à compulser des similitudes historiques dans l’abominable épopée du Bas-Empire, s’aperçut tout à coup qu’il peinait en vain. La torche fumeuse de son esprit, inutilement agitée, ne donnait plus de lumière. Il posa sa plume et se mit à songer.

On était au mois de juin et le jour naissait. De la fenêtre ouverte sur le quartier endormi, un souffle suave arrivait sur lui, rafraîchissant et capiteux comme le parfum des fruits… C’est l’heure des énervements dangereux et des languides instigations de l’esprit charnel. Un homme, habituellement chaste