Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/57

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Il vécut seul, dans le voisinage d’un unique ami, à peine moins indigent, qui le sauva de la mort quinze ou vingt fois.

Les dix années antérieures à sa conversion avaient été faites à la ressemblance de toutes les années d’adolescent pauvre, niais, timide, ambitieux, mélancolique, misanthropique, épiphonémique et brutal. Mais il avait apporté de sa province, en excédent de ce commun bagage, le particulier viatique d’impuissance que j’ai dit plus haut. Ce sempiternel rêveur ne pouvait voir les choses telles qu’elles étaient et il n’y eut peut-être jamais un homme d’aussi peu de ressource et moins ambidextre pour s’emparer du toupet de l’occasion.

Son auge unique, l’emploi de copiste qui avait été le prétexte et le moyen de son embauchage pour la lutte parisienne, à laquelle il était si merveilleusement impropre, il le perdit au bout de quelques mois. Son chef de bureau, vieillard adipeux et favorable, mais plein de principes et sans faiblesse, lui révéla, un jour, que l’administration ne le payait pas pour ne rien faire et le mit tranquillement à la porte, avec une dignité incroyable.

Ce fut la misère classique et archi-connue, tant de fois explorée et décrite. Le pauvre garçon n’était bon absolument à rien. Il était de ces fruits sauvages, d’une âpreté terrible, que la cuisson même n’édulcore pas et qui ont besoin de mûrir longtemps « sur la paille », ainsi que Balzac l’a judicieusement observé dans son âge mûr.

Il a fait plus tard ce calcul, basé sur d’approximatives défalcations, qu’il avait passé, alors, huit an-