Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/72

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çante rafale d’isolement vint tournoyer dans cette chambre mortuaire embrumée de crainte, il se sentit « unique et pauvre », ainsi qu’il est écrit du Sabaoth terrible, et il sanglota sur lui-même, comme un enfant abandonné dans les ténèbres…

Mais, bientôt, l’épine de révolte aux noires fleurs, dont il s’était transpercé de sa propre main, renouvela ses élancements. — Pourquoi une vie si dure ? Pourquoi cette aridité invincible de l’humus social autour d’un malheureux homme ? Pourquoi ces dons de l’esprit, si semblables à d’efficaces malédictions, qui ne semblaient lui avoir été départis que pour le torturer ? Pourquoi, surtout, ce piège à peu près inévitable, de ses facultés rationnelles en conflit perpétuellement inégal avec ses facultés affectives ?…

Tout ce qu’il avait entrepris pour la gloire de la vérité ou le réconfort de ses frères avait tourné à sa confusion et à son malheur. Les entraînements de sa chair, les avait-il assez infernalement expiés ! C’était fini, maintenant, tout cela, c’était très loin, c’était effacé par toutes les canoniques pénitences qui raturent la coulpe du chrétien. Le torrent d’immondices avait passé sans retour, mais le vase de la mémoire avait gardé la lie la plus exquise d’anciennes douleurs, qui avaient été presque sans mesure.

Deux cadavres de femmes, naguère lavés de ses larmes, lui paraissaient étendus à droite et à gauche de celui de son père, et un quatrième, cent fois plus lamentable, — celui d’un enfant, — gisait à leurs pieds.

De ces deux femmes qu’il avait adorées jusqu’à la