Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/75

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tre, loin de le troubler, lui parut un bénissable surcroît providentiel de tribulations.

Un soir, la grossesse étant déjà fort avancée, on rapporta chez lui sa maîtresse à moitié morte et l’enfant naissant. La mère étant tombée sur son ancien éditeur, avait été rouée de coups et sauvagement piétinée, au conspect d’un troupeau de boutiquiers dont pas un seul n’intervint. L’infortunée expira dans la nuit, après avoir accouché avant terme, laissant au seul ami qu’elle eût jamais rencontré, le souvenir crucifiant de la plus délicieusement naïve des tendresses.

Fauvement, il se jeta à son fils. Dans cette âme d’ancêtre, altérée de dilection, le sentiment paternel éclata comme un incendie.

Ce fut une nouvelle sorte de délire, fait de toutes les agitations précordiales du passé et de toutes les antérieures tempêtes, un épitomé sublime de toutes les procellaires véhémences de la passion enfin clarifiée, spiritualisée, concentrée et dardée uniquement sur le berceau de cet enfantelet débile !

Redoutant les meurtrières abominations des nourriceries lointaines, il voulut le garder auprès de lui et, à force d’amoureuse énergie, parvint à le faire vivre jusqu’à l’âge de cinq ans. Ce que cela lui coûta, lui-même n’aurait pu le dire ! Mais il voulut être heureux de souffrir et se fit une volupté de râler toutes les agonies. Pour son enfant, il aurait accepté de cheminer dans une voie lactée de douleurs !

Lorsque, après avoir fait n’importe lequel des quinze ou vingt métiers humiliants que la nécessité lui suggéra, il venait le reconquérir chez une vieille