Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/80

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y avait là une histoire aussi simple que peu vraisemblable.

Véronique Cheminot, célèbre naguère au quartier latin sous le nom expressif de la Ventouse, était une splendide goujate que dix années, au moins, de prostitution sur vingt-cinq, n’avaient pu flétrir. Et Dieu sait pourtant l’effroyable périple de ce paquebot de turpitudes !

Née dans un port breton, d’une ribaude à matelots malencontreusement fruitée par un cosmopolite inconnu, nourrie, on ne savait comment, dans cet égout, polluée dès son enfance, putréfiée à dix ans, vendue par sa mère à quinze, on l’avait vue se débiter dans toutes les halles à poisson de la luxure, se détailler à la main sur tous les comptoirs du stupre, pendre à tous les crocs de la grande triperie du libertinage.

Le boulevard Saint-Michel l’avait assez connue, cette rousse audacieuse qui avait l’air de porter sur sa tête tous les incendies qu’elle allumait dans les reins juvéniles des écoles !

Elle ne passait pas généralement pour une bonne fille. Quoiqu’elle eût fait d’étranges coups de tête pour des hommes qu’elle prétendait avoir aimés, cette avide guerrière se livrait à de terrifiques déprédations qui la rendaient infiniment redoutable aux familles. À l’exception de quelques rares et singuliers caprices qui lui faisaient mettre parfois dans son lit des vagabonds sans asile, — et qu’on expliquait inexactement par la fangeuse nostalgie de sujétion particulière à ces réfractaires, — ses caresses les plus authentiques étaient d’une vénalité escaladante, qui montait jusqu’au lyrisme. Elle avait