Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/82

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nations victorieuses de sa volonté. Parvenu enfin à la plénitude de sa force intellectuelle et physiologique, il était, de tous les hommes, le plus tendre et le plus inséductible.

Aucune circonstance dramatique ne signala le commencement de ses relations avec la Ventouse. Ayant cessé, depuis Leverdier, le famélique vagabondage de ses débuts, gagnant à peu près sa vie et, aussi, souvent celle des autres, par diverses industries dont la littérature était la moins lucrative, connu déjà par des scandales de journaux et même un peu célèbre, — ce sombre individu, si différent de tout le monde et qui ne parlait jamais à personne, intrigua fortement la bohémienne qui le voyait habituellement déjeuner à quelques pas d’elle, dans un petit restaurant du carrefour de l’Observatoire. Ce fut à un point qu’elle prit des informations et rêva d’exercer sur lui son ascendant.

Le manège de circonvallation fut banal, comme il convenait, et tout à fait indigne de la majesté de l’histoire. Elle obtint ceci que Marchenoir, très doux sous son masque de fanatique, répondit, sans même fixer les yeux sur elle, aux remarques saugrenues qu’elle supposait grosses d’une conversation, par d’inanimés monosyllabes qu’on aurait crus péniblement tirés à la poulie du fond d’un puits de silence.

Exaspérée de ce médiocre résultat, elle lui dit un jour :

— Monsieur Marchenoir, j’ai envie de vous et je vous désire, voulez-vous coucher avec moi ?

— Madame, répondit l’autre avec simplicité, vous tombez fort mal, je ne me couche jamais.

Et c’était vrai. Il travaillait jour et nuit avec furie