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APPENDICES

« Il est plus aisé de se figurer que de rendre l’indignation dont fut saisi le grand homme en se voyant repoussé « d’une terre et des ports que, par la volonté de Dieu, il avait gagnés à l’Espagne en suant le sang[1] », ne pouvant ni se réparer ni s’abriter dans une île dont il était le Vice-Roi et le Gouverneur perpétuel, contraint par conséquent de s’offrir comme une proie à la tempête, et de continuer son voyage avec un navire hors d’état de naviguer ! Ce refus si contraire aux lois de l’humanité et aux usages de la mer répandit la consternation dans les équipages.

« Mais, quolque profonde que fût l’indignation de l’Amiral, son humanité, sa charité chrétienne l’emportèrent sur son ressentiment. Il renvoya de nouveau vers le gouverneur pour lui dire que, puisqu’il lui refusait un asile, malgré la nécessité de se réparer et au moment même d’un péril imminent, rigidité qu’il ne pensait pas être conforme à l’intention des Rois, qu’au moins il retînt encore la flotte près de partir, et qu’il ne la laissât pas aller avant huit jours[2], parce que l’ouragan s’étendrait jusqu’en de lointains parages ; quant à lui, il allait sans retard chercher un abri.

« Comme Ovando n’entendait rien à la navigation, etque sa prudence le portait à ne pas négliger un avis utile, il prit conseil des pilotes et du capitaine général, Antonio de Torrez. Il faut bien le reconnaître, aucune apparence atmosphérique ne semblait justifier la prévision de l’Amiral ; il fut donc décidé que l’on partirait ainsi qu’il était convenu. Les piloles, en regardant le clel, raillèrent gaillardement la sinistre annonce du vieil amiral, qui fut traité d’esprit morose, de « faux prophète[3] », et peut-être de radoteur.

  1. Paroles de Christophe Colomb : « … La tierra y los puertos « que yo por la voluntad de Dios, gané á España sudando sangre. » — Lettre aux Rois Catholiques, datée de la Jamaïque, le 7 juillet 1530.
  2. Fernando Colombo, Vita dell’Ammiraglio, cap. lxxxviii.
  3. Herrera. Histoire générale des voyages et conquêtes des Castillans dans les Indes occidentales. décade Ire, Liv. V, ch. ii.