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le ramasseur de crottin

Les observateurs ont été frappés, dans tous les temps et dans tous les lieux, de l’étrange sympathie des animaux nobles pour les êtres humains disgraciés. Les chevaux aimaient ce gnome dont se moquaient tous les polissons de la ville et qui n’eut jamais d’autres amis que ces bêtes pitoyables.

Il en prenait le soin le plus tendre, leur donnait des noms très doux, empruntés pour la plupart au règne végétal, quelquefois même avec une certaine poésie barbare, les reconnaissait de loin sur la route quand ils arrivaient d’Orléans ou de Montargis et les chevaux, à moitié fourbus, se hâtaient vers lui en hennissant.

Cela était si connu que les voituriers lui confiaient de préférence la tutelle de leurs herbivores. Il en résulta pour lui de menus profits, mais surtout l’avantage inespéré de la succession du palefrenier de son écurie dont la mort fut très misérable.

Il avait alors vingt-cinq ans et il était plus hideux que jamais. Cette prospérité ne l’enfla point. Il demeura le fidèle compagnon de ses chevaux, l’hôte assidu de leur litière, ne sortant qu’avec eux, orgueilleusement juché sur l’un d’eux, lorsqu’il les menait par trois ou quatre à l’abreuvoir, à la grande satisfaction des employés de la sous-préfecture qui allaient le voir passer en sortant de leurs bureaux.

Ainsi s’écoulait sa vie bienheureuse, lorsque