Page:Bloy - Sueur de sang.djvu/143

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morts. Et maintenant, comme si j’avais donné le signal des plaintes, de toute la plaine m’arrivaient des râles, des sanglots et des soupirs…

Nous étions peut-être deux mille, attendant ainsi qu’on vînt nous soigner ou nous mettre en terre. Un désespoir sans mesure s’abattit sur moi.

Je pense, monsieur, qu’il faut avoir passé par là, pour oser parler de la misère de ce monde. Cela, pourtant, vous allez le voir, était peu de chose encore.

Les murmures s’éteignirent. Chaque moribond, sans doute, avait mis dans cet appel douloureux son suprême effort. Les trois quarts peut-être venaient d’expirer et le grand silence polaire s’était rétabli.

Quelles sont, là-bas, à la lisière du bois, ces ombres dressées, ces ombres inquiètes qui se meuvent sans aucun bruit ? Combien sont-elles ces figures de ténèbres qui se penchent les unes vers les autres, que je crois entendre chuchoter ?

Le taillis en vomit encore, j’en vois à ma droite et à ma gauche. Il y en avait dix, tout à l’heure, à présent, il y en a trente ou quarante.

Ces êtres s’accroupissent auprès des gisants, lacèrent les sacs, fouillent les poches, étranglent