Page:Bloy - Sueur de sang.djvu/302

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Aucun autre mot français ne fut autant proféré en 1870, et c’est pour cela, sans doute, que cette année s’appela terrible.

Depuis le 4 août jusqu’au paiement des derniers centimes du fantastique paquet de milliards qu’on voulut nommer l’indemnité aux spoliateurs de la France, ce Mot dut être vociféré, chaque jour, de la façon la plus énergique, un nombre incalculable de fois.

Si l’impuissance à deviner ou comprendre quoi que ce soit n’était pas, fort heureusement, le privilège des quatre-vingt-dix-neuf centièmes de l’humanité, ce serait à mourir d’effroi de considérer, à cette occasion, que les mots ne sont pas seulement des combinaisons alphabétiques ou des aventures de gueuloir, mais les plus vivantes réalités.

Quand il est sorti de nous, le pauvre mot qui flottait auparavant dans les limbes ténébreux du Disponible, il devient aussitôt agile, vagabond et irréparable.

Ubiquitaire par sa nature, il s’élance de tous les côtés à la fois, agissant avec la force plénière de son origine d’En Haut, car les mots ne sont pas de l’homme.

Il faut être atteint d’Académie pour croire à la bassesse de quelques-unes de ces entités subtiles, — comme s’il y avait moyen de concevoir une hiérarchie dans ce vestige lamentable et surnaturel de l’ancien plan des constellations qui se nomme un Vocabulaire ; comme s’il y avait des mots qui