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à la table des vainqueurs

— Celui qui m’a donné cet anneau, commença la vieille, en soulevant sa main gauche, est mort, il y a vingt ans, pendant la guerre, à Saint-Sigismond, dans le Loiret, le matin même de la bataille de Loigny, fusillé par les Bavarois de M. de Thann. Il avait avec lui deux de nos enfants, le plus jeune âgé seulement de dix-neuf ans, et ils furent exécutés avec leur père. On m’a raconté que ces démons assassinèrent d’abord les pauvres petits le plus cruellement qu’ils purent, en tirant dans les parties inférieures, pour que celui qui les avait engendrés les vît souffrir longtemps à ses pieds avant d’obtenir la mort pour lui-même.

Mais cela n’est rien, dit-elle, dans un rauquement qui ressemblait à un sanglot. Ces Allemands se vengeaient à leur manière. Mon mari était un homme de grand courage qui leur avait fait beaucoup de mal. Il avait sacrifié la moitié de notre fortune pour organiser une petite compagnie de tirailleurs qu’on appelait les Braconniers de Neuville et dont l’audace fut extraordinaire… Je n’ai jamais pu savoir ce qu’étaient devenus les corps… Vous n’ignorez peut-être pas qu’il existe à Loigny, sous l’église, une crypte où l’on voit les ossements blanchis et rangés symétriquement de mille trente-cinq soldats français. Plusieurs fois, j’ai fait ce pèlerinage, essayant de me persuader qu’on les