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Page:Božena Němcová Grand-mère 1880.djvu/119

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la chaussée, pendant que, dans la prairie, je voyais venir cet écrivain du château, celui que les filles, qui ne pouvaient retenir son nom allemand, avaient surnommé Émeraudine ou le scarabé doré, parce qu’il portait des cheveux assez longs et d’un beau blond doré. Il était allemand de naissance. Il cheminait donc dans la prairie ; comme il faisait très-chaud, il avait ôté sa casquette, et s’en allait les cheveux au vent.

Tout-à-coup, et comme si elle fut tombée du ciel, Victoire, accourue on ne sait d’où, tombe sur lui, l’empoigne, l’arrache comme s’il n’était qu’une poupée en bois. Et l’allemand de donner, en criant, tout ce qu’il avait de gorge. Il descendit la montagne comme en volant ; mais Victoire jetait feu et flamme de colère ; elle le mordait à la main, et criait d’une voix qu’animait la rage : « Enfin ! je t’ai donc en ma puissance, toi, serpent ! toi démon ! Je te déchirerai ! Qu’as-tu fait de mon bien-aimé, toi diable ! — Diable ! — Rends-le moi ! » et elle se mit tellement en rage qu’elle en était enrouée, et qu’ainsi elle ne pouvait elle-même s’entendre.

L’allemand n’y pouvait rien comprendre ; il était comme abasourdi. À nous deux, nous n’aurions jamais pu en venir à bout, si les serviteurs n’étaient accourus à la vue de cette mêlée. Ils tirèrent par la prairie et nous commençâmes par sauver de ses mains le pauvre écrivain. Mais quand nous voulûmes la saisir, elle se dégagea de toutes ses forces et se réfugia en courant dans la forêt. De la forêt, elle jetait de grandes pierres sur nous, et en blasphémant à faire trembler la voûte des cieux. Ensuite, je fus plusieurs jours sans la revoir.