L’enfant, qui n’était pas mal avisé pour son âge, approuva la conduite de la sage nourrice, et s’y conforma parfaitement.
Les deux jeunes esclaves demeurèrent longtemps dans la maison de Gasparin d’Oria, très-mal vêtus, occupés aux plus vils emplois, aussi bien que la nourrice, qui leur donnait en tout l’exemple de la patience. Après avoir atteint sa seizième année, Jeannot, qui, malgré l’esclavage, avait conservé un cœur digne de sa naissance, ne pouvant plus soutenir une condition si dure et si vile, s’évada de chez Gasparin, monta sur des galères qui partaient pour Alexandrie, et parcourut plusieurs pays, sans cependant trouver aucun moyen de s’avancer. Au bout de trois ou quatre ans de courses et de travaux, qui n’avaient pas peu contribué à former son corps et à mûrir sa raison, il apprit que son père vivait encore, mais que le roi Charles le retenait en prison. Désespérant de faire changer la fortune, il erra encore çà et là, jusqu’à ce que, le hasard l’ayant amené dans le territoire de Lunigiane, il alla offrir ses services au marquis de Malespini, qui gardait sa mère chez lui. Comme Jeannot était devenu bel homme et qu’il avait fort bonne mine, ce seigneur l’accepta pour domestique, et fut on ne peut plus satisfait de sa manière de servir. L’âge et les chagrins avaient fait un si grand changement sur la mère et le fils, qu’encore qu’ils se vissent quelquefois, ils ne se reconnurent ni l’un ni l’autre.
Le marquis avait une fille bien faite et jolie, nommée de l’Épine. À sa dix-septième année, il l’avait donnée en mariage à messire Nicolas de Grignan, et comme elle se trouva veuve presque aussitôt que mariée, elle était retournée chez son père, peu de jours avant que Jeannot entrât à son service. La figure et les manières de ce jeune homme lui plurent si fort, qu’elle ne put se défendre de l’aimer. Sa beauté avait fait les mêmes impressions sur le cœur de Jeannot, ils ne tardèrent pas à s’avouer l’un à l’autre leur passion et à s’en donner des preuves réciproques. Ce commerce de galanterie dura plusieurs mois sans que personne en eût le moindre soupçon. Voyant qu’on était loin de soupçonner leur intrigue, ils commencèrent à mettre moins de prudence et de réserve dans leurs plaisirs. Un jour étant sortis, avec le reste de la famille, pour se promener dans les bosquets voisins du château, ils trouvèrent le moyen de se détacher de la compagnie, et d’entrer les premiers dans le bois. Croyant avoir laissé bien loin leurs compagnons de promenade, ils s’arrêtèrent dans un lieu des plus agréables, et là, sur un tapis de verdure entouré d’arbres et parsemé de fleurs, ils s’abandonnèrent à leur passion et s’enivrèrent des plus doux plaisirs. Mais qu’ils les payèrent cher ces plaisirs délicieux, dont ils ne pouvaient se lasser ! Bref, ils furent surpris, d’abord par la marquise, à qui l’indignation arracha un cri qui interrompit des extases qu’elle eût peut-être voulu partager ; puis par le marquis, qui, outré de la lâcheté de sa fille et de la perfidie de son domestique, les fit lier tous deux par ses gens et conduire sur-le-champ aux prisons