entendre ce que je lui dirai. » Cet homme fut assez vil pour se laisser dominer par l’intérêt. Il répondit qu’il y consentait volontiers, étant assuré de la vertu de sa femme, et comptant se moquer ensuite du Magnifique. Il le laisse dans le salon, et va trouver incontinent sa chère moitié. Il lui conte ce qui venait de se passer, et la prie de vouloir bien lui gagner le beau cheval de Richard. « Cette complaisance, lui dit-il, ne doit pas vous faire de la peine ; je serai présent ; je vous défends, sur toutes choses, de lui rien répondre ; venez entendre ce qu’il a à vous dire. » Madame Vergelesi était trop honnête pour ne pas blâmer le procédé de son mari. Elle refusa de se prêter à son désir ; mais il insista tellement, qu’elle se vit forcée de lui obéir. Elle le suivit donc dans le salon, en murmurant contre sa sordide avarice. Le Magnifique ne l’eut pas plutôt saluée qu’il renouvela sa promesse ; et après avoir fait retirer le mari à l’autre extrémité du salon, il s’assit auprès de la dame, et voici le discours qu’il lui tint :
« Vous avez trop d’esprit, madame, pour ne vous être pas aperçue, depuis longtemps, que je brûle d’amour pour vous : je vous en demande pardon ; mais je n’ai pu me défendre des charmes de votre beauté ; elle l’emporte sur celle de toutes les femmes que je connais. Je ne vous parlerai point des autres qualités dont vous êtes ornée et qui vous soumettent tous les cœurs : vous me rendez assez de justice pour croire que personne au monde n’en sent le prix autant que moi. Je ne chercherai pas non plus à vous peindre la violence du feu que vous avez allumé dans mon cœur : je me contenterai de vous assurer qu’il ne s’éteindra qu’avec ma vie, et qu’il durera même éternellement, s’il est encore permis d’aimer après le trépas. Vous pouvez croire, d’après cela, madame, que je n’ai rien au monde dont vous ne puissiez disposer librement : mes biens, ma personne, ma vie, tout ce que je possède est à votre disposition, et je me regarderais comme le mortel le plus heureux si je pouvais faire pour vous quelque chose qui vous fût agréable. Je me flatte que, d’après ces dispositions, vous voudrez bien, madame, vous montrer un peu plus sensible que vous ne l’avez fait jusqu’à présent à l’amour que vous m’avez inspiré dès le premier jour que j’eus le bonheur de vous voir. De vous dépend ma tranquillité, ma conservation, mon bonheur. Oui, je ne vis que pour vous, et mon âme s’éteindrait tout à l’heure, si elle n’avait l’espoir de vous rendre sensible à ma tendresse. Laissez-vous fléchir par le plus amoureux des hommes ; ayez pitié d’un cœur que vous remplissez tout entier ; payez l’amour par l’amour ; que je puisse dire que si vos charmes m’ont rendu le plus passionné et le plus à plaindre des amants, ils m’ont aussi conservé la vie et rendu le plus heureux des mortels ! Que ne pouvez-vous lire dans mon âme ! vous seriez touchée des tourments qu’elle souffre. Apprenez que je ne puis plus les supporter, et que vous aurez à vous reprocher ma mort, si vous persistez dans votre insensibilité.