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Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/302

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cœur du perfide Gardastain, répond le chevalier, ce cœur que vous n’avez pas eu honte d’aimer, ce cœur que je lui ai arraché de mes propres mains, un moment avant mon arrivée ; oui, c’est ce cœur que vous venez de manger. »

Je n’essayerai point de rendre la douleur de la dame à cette horrible nouvelle. Il suffit de savoir, pour s’en former une idée, qu’elle aimait Gardastain plus que sa vie. Son âme, naturellement sensible, était en proie à tous les sentiments capables de la déchirer. L’accablement où elle se trouvait l’empêcha quelque temps de parler ; mais enfin, revenue à elle : « Vous avez fait le personnage d’un lâche et perfide chevalier, lui dit-elle en soupirant. Gardastain ne m’a fait aucune violence ; moi seule je vous ai trahi, et c’est moi seule qu’il fallait punir. À Dieu ne plaise qu’après avoir mangé d’une viande aussi précieuse que l’est le cœur du plus aimable et du plus vaillant des chevaliers qui fut jamais, je sois tentée de la mêler avec d’autres, et de prendre jamais de nouveaux aliments ! » Elle se lève de table en achevant ces mots, se jette, sans balancer, par une fenêtre très-élevée, et s’écrase en tombant.

Guillaume de Roussillon connut alors sa faute, et se la reprocha amèrement. La peur le saisit, et lui fit promptement prendre la fuite. Le lendemain, l’aventure ayant été divulguée jusqu’aux moindres circonstances, les amis, les parents de la dame et du comte de Provence recueillirent les restes de ces corps, et les firent ensevelir ensemble, avec beaucoup de pompe, dans l’église du château du barbare chevalier. On grava sur leur tombeau une épitaphe qu’on y voit encore, et qui contient les qualités de ces deux amants infortunés et l’histoire de leur mort.