mon ami, lui dit-elle, prends un bâton, et va-t’en vite au jardin. Là, faisant semblant de ne m’avoir sollicitée que pour m’éprouver, d’aussi loin que tu verras mon mari, tu lui diras mille injures, comme si c’était à moi-même, et tu le frotteras de la bonne manière. Tu sens combien le tour sera plaisant. »
Hannequin se lève et va au jardin, armé d’un bâton de cotret[1]. Egano, qui s’impatientait de l’attendre, charmé de le voir arriver, se lève comme pour le recevoir avec amitié. « Femme perfide, s’écrie Hannequin en s’approchant, je n’aurais jamais cru que vous eussiez poussé si loin l’ingratitude envers votre honnête homme de mari. Vous êtes-vous figuré que je serais assez lâche pour lui manquer moi-même à ce point-là ? désabusez-vous, mon intention n’était que de vous éprouver. » Après ces mots, il lève le bâton et lui en applique un bon coup sur les épaules. Egano, le cœur plein de joie de l’honnêteté de son intendant, lui pardonna volontiers de l’avoir frappé ; mais, comme il ne voulait point s’exposer à un second coup, il prit la fuite sans mot dire. Hannequin le poursuit en le frappant et en lui criant : « Puisse le ciel te punir de ta lâcheté ! crains que je n’en instruise mon maître. Si je ne l’en informe point, ce ne sera pas par égard pour toi qui n’en mérites aucun, mais pour lui épargner un tel chagrin. »
Egano, de retour dans sa chambre, fut questionné par sa femme pour savoir si Hannequin s’était trouvé au prétendu rendez-vous. « Plût à Dieu, dit-il, qu’il n’y fût point venu ; car, croyant avoir affaire à toi, il n’est point d’injures qu’il ne m’ait dites, et m’a sanglé tant de coups de bâton que j’en les épaules brisées. J’étais bien étonné que ce brave jeune homme t’eût fait de pareilles propositions dans le dessein de me manquer. J’imagine que, comme il te voie enjouée et libre avec tout le monde, il a voulu éprouver ta vertu ; je souhaiterais pourtant, qu’il s’en fût tenu aux reproches. — Et moi aussi, répondit la femme ; et je dois bénir le ciel de ce que j’ai évité ses coups ; je n’en aurais sans doute pas été quitte à si bon marché que vous. Mais puisqu’il est si honnête et si fidèle, il est juste de le considérer et d’avoir des égards pour lui. — Assurément, reprit le mari, et jamais homme ne l’a mieux mérité. »
Depuis cette aventure, Egano crut avoir et la femme la plus vertueuse et l’intendant le plus affectionné qu’il fût possible de trouver. Béatrix et son amoureux rirent plus d’une fois de cette scène singulière. L’aveugle prévention du mari les mit dans le cas de se voir en toute liberté. Et ils en profitèrent pour multiplier leurs jouissances tout le temps qu’Hannequin demeura à Florence, d’où il ne partit que pour aller à Jérusalem.
NOUVELLE VIII
LA FEMME JUSTIFIÉE
Il y eut autrefois à Florence un très-riche négociant, nommé Henriet Berlinguier, entiché, comme c’est assez l’ordinaire des gens de sa profession, de la manie de s’anoblir par le mariage. Il épousa, dans cette vue, une femme de condition, nommée madame Simone, qui n’était pas du tout son fait. Comme son commerce l’obligeait à faire de temps en temps des absences, sa femme qui n’aimait pas à chômer, devint amoureuse d’un jeune homme, nommé Robert, qui lui avait fait sa cour avant qu’elle se mariât. Elle agit avec si peu de précaution, que son intrigue parvint à la connaissance de son mari, soit sur le rapport des voisins, soit d’après ses propres observations. Dès ce moment il devint le plus jaloux de tous les hommes. Il ne s’absentait plus, sortait rarement de la maison, et négligeait presque toutes ses affaires pour ne s’occuper que du soin de garder sa femme ; bref, il portait la vigilance si loin, qu’il ne se mettait jamais au lit qu’elle ne fût couchée et endormie. Dieu sait si madame Simone devait enrager d’une pareille contrainte, qui la mettait dans l’impossibilité de voir son amant. Elle ne put cependant se déterminer à l’oublier. Plus elle se trouvait gênée, plus elle désirait de le recevoir. Elle en cherchait
- ↑ Petit faisceau de bois assez court, de grosseur moyenne. (Note du correcteur ebooks libre et gratuit).