fort malade. Il sentit un petit mouvement de compassion, et ne laissa pourtant pas de lui répondre : « Si vous voulez mourir, vous mourrez de votre main et non de la mienne. Pour de l’eau, je vous en donnerai comme vous me donnâtes du feu. Ce qui me fâche, c’est que, pour guérir mon froid, il ait fallu me mettre dans la fiente très-puante de vache et de cheval, tandis que votre chaud peut se guérir avec de l’eau de rose qui sent bon. Je faillis à perdre l’usage de mes nerfs, et vous en serez quitte pour changer de peau, comme le serpent. Vous n’en aurez le teint que plus beau.
— Barbare, reprit la veuve infortunée, puisse le ciel te donner un teint acquis de la même sorte ! homme plus cruel que les monstres les plus féroces, qu’aurais-tu fait de plus si j’avais égorgé toute ta famille ? punirait-on d’un supplice plus lent et plus rigoureux le dernier des scélérats qui aurait à se reprocher la mort de tous les habitants d’une ville ? tu me refuses un verre d’eau, qu’on ne refuse pas aux plus grands criminels sur la roue ? encore même leur donne-t-on du vin s’ils en demandent. Puisque tu t’obstines à me refuser le moindre soulagement ; puisque tu es inexorable, je vais me préparer à mourir en patience. Dieu veuille avoir pitié de mon âme ! c’est à lui que je laisse le soin de me venger de ta cruauté, dont il est seul témoin. » Après ces paroles, elle se traîna au milieu de la terrasse, et souhaita mille fois que la mort vint finir son martyre.
La nuit s’approchant, et Régnier se trouvant assez vengé, fit prendre par son domestique, de retour depuis près d’une heure, les habits de madame Hélène, et marchant devant lui, il alla trouver la servante, qu’il rencontra sur la porte de la métairie, fort affligée de la disparition de sa chère maîtresse. « Ma bonne, lui dit-il en l’abordant, sais-tu où est madame Hélène ? — Hélas ! monsieur, je l’ignore. Je croyais la trouver ce matin dans son lit, mais elle est disparue, sans que je sache ce qu’elle est devenue, et vous me voyez fort chagrine ; car je crains qu’il ne lui soit arrivé quelque malheur. — Que n’étais-tu avec elle, dit le philosophe d’un ton de mauvaise humeur, afin d’avoir pu me venger de toi comme je me suis vengé d’elle ! Mais, ce qui est différé n’est pas perdu : je saurai bien te punir tôt ou tard de ta méchanceté. Je t’apprendrai à te moquer des gens de ma sorte. » Puis, s’adressant à son valet : « Donne-lui ces habits, et dis-lui d’aller chercher sa maîtresse, si elle veut. »
La servante, après avoir reconnu les habits, ne doutant point que Régnier n’eût égorgé madame Hélène, eut une peur inconcevable pour sa propre vie. Elle les prit sans murmurer ; mais, lorsque Régnier et son valet furent partis, elle donna une libre carrière à sa douleur et courut vers la tour avec ces habits, en poussant des cris horribles.
Régnier et son domestique avaient à peine quitté la veuve pour se rendre à la métairie, que le fermier de cette infortunée, qui cherchait deux cochons