Ensuite tu iras trouver Rinuce, et tu lui diras : Madame Françoise est prête à faire tout ce qu’il vous plaira, mais elle exige auparavant que vous lui rendiez un grand service. Il s’agit d’aller, vers l’heure de minuit, au tombeau où Étrangle-Dieu a été enfermé ce matin, et sans dire mot, quelque chose que vous entendiez ou que vous sentiez, d’en retirer doucement le cadavre, et de l’apporter à la maison. Là, vous saurez pourquoi elle exige ce service, et ses faveurs seront votre récompense. Si cette entreprise vous déplaît, elle vous mande de cesser pour jamais toutes vos galanteries à son égard. »
La servante s’acquitta fidèlement de la commission, et rendit aux deux amants tout ce que sa maîtresse lui avait ordonné de leur dire de sa part. Tous deux, également épris, répondirent que, pour lui plaire, ils étaient prêts à aller, non-seulement dans un tombeau, mais jusqu’aux enfers. La servante rapporta leur réponse à madame Françoise, qui attendit tranquillement que l’événement justifiât leur propos.
Dès que la nuit fut venue, Alexandre Clermontois se dépouilla de ses habits, sortit de sa demeure à l’heure indiquée, pour aller prendre dans un tombeau la place d’Étrangle-Dieu. Cependant, chemin faisant, son premier courage commençait à l’abandonner ; mille idées noires effrayaient son esprit. « Dieu ! où vais-je ? dit-il en lui-même ; quelle sottise est la mienne ! Que sais-je si les parents de cette femme, avertis par hasard de mon amour, et me supposant plus avancé et plus heureux que je ne suis, ne lui font pas faire tout ceci pour m’assassiner dans l’obscurité de ce tombeau ? qui pourrait me secourir ? je n’aurais pas même l’espoir de la vengeance. La solitude du lieu leur garantirait l’impunité du crime. Que sais-je si quelque rival préféré ne lui a pas proposé ce stratagème pour se défaire de moi ? Mais, en supposant que mes conjectures soient fausses, et qu’en effet ses parents me portent en sa maison, du moins dois-je croire qu’ils ne désirent pas le corps d’Étrangle-Dieu pour le tenir entre leurs bras, ou pour le mettre entre les siens ; ce que je puis imaginer de plus raisonnable, c’est qu’ils veulent venger sur le cadavre d’Étrangle-Dieu quelques déplaisirs qu’il leur aura faits durant sa vie. On m’a recommandé de ne dire mot, quelque chose que je sente ; et, s’ils me crevaient les yeux, s’ils m’arrachaient les dents, s’ils me coupaient les mains, si enfin ils me faisaient quelques tours de cette espèce, pourrais-je me taire ? et si je parle, peut-être me puniront-ils ; mais, quand même ils ne le feraient pas, que me reviendrait-il de mon entreprise ? sans doute, ils ne me laisseront point avec madame Françoise, qui d’ailleurs ne manquera pas de me reprocher d’avoir enfreint ses ordres, et qui sera alors en droit de se refuser à mes désirs. » Ces réflexions l’ébranlaient et l’auraient fait retourner chez lui, si l’amour, plus persuasif que la raison, ne lui en eût présenté de toutes contraires à celles-là, et d’une manière si pressante, qu’il fût contraint d’y céder. Il arrive au tombeau,