non, rien n’est aussi aimable que Colette, elle vient de m’enivrer de voluptés ; il n’est pas possible à un homme d’en goûter davantage avec aucune femme. » L’hôte, à qui de semblables nouvelles ne plaisaient nullement, dit en lui-même : « Que me vient conter celui-ci ? » Puis élevant la voix : « Voilà le tour le plus méchant et le plus perfide qu’on puisse jouer à un honnête homme ; et je ne l’avais pas mérité ; mais vous me le payerez. » Qui fut surpris ? ce fut Pinuccio. Comme il avait peu de présence d’esprit, il lui répond, tout étourdi de sa méprise, qu’il lui serait difficile de se venger, qu’il ne le craignait aucunement ; et, par cette réponse peu réfléchie, il pensa tout découvrir.
Sur ces entrefaites : « Écoute donc ces étrangers, je crois qu’ils ont quelque dispute, dit la femme à Adrian, qu’elle prenait toujours pour son mari. — Que nous importe ? laisse-les faire, répond Adrian, ils ont trop bu hier au soir. » Ce son de voix étranger fut un coup de foudre pour la femme, et lui fit connaître sa méprise. Que faire ? comment réparer cette aventure ? comment la déguiser ? Elle se lève, prend le berceau de son fils, le porte près du lit de sa fille, se couche avec celle-ci, et, feignant de s’éveiller au bruit de la dispute, elle appelle son mari, et lui demande le sujet de ce tintamarre. « N’entends-tu pas, répond celui-ci, ce que me conte Pinuccio, ce qu’il dit avoir fait cette nuit avec Colette ? — Il ment bien effrontément ; je te jure qu’il n’a point couché avec elle, car je ne l’ai point quittée, et n’ai point dormi assez profondément pour ne pas m’apercevoir de tout ce qui se serait passé. En vérité, tu es un grand sot de croire de pareilles sornettes. Mais vous voilà, vous autres hommes ; vous vous enivrez le soir, vous courez çà et là sans le sentir, et prenez les songes de votre ivresse pour des réalités : il serait bon, pour vous corriger, que vous vous rompissiez le coup une seule fois. Mais que fait là Pinuccio ? pourquoi n’est-il pas dans son lit ? » Adrian, voyant que la femme couvrait sagement sa honte et celle de sa fille : « Pinuccio, dit-il, je t’ai prié cent fois de ne jamais coucher hors de ta maison. Ce maudit défaut de te lever ainsi pendant tes rêves, et de débiter comme des vérités tout ce qui se présente à ton imagination, te jouera quelque mauvais tour. Reviens ici, et que Dieu te donne une bonne nuit. »
Après ce discours d’Adrian et celui de sa femme, l’hôte crut bonnement que Pinuccio était un somnambule. Il l’agite, il l’appelle. « Pinuccio, disait-il, Pinuccio, éveillez-vous donc et retournez dans votre lit. Pinuccio, à qui la conversation n’était pas échappée, voulut aussi contribuer à duper le pauvre homme : il feint de rêver de nouveau, et débite mille sottises dont l’hôte rit à gorge déployée. Enfin, à force d’être agité, il s’éveille : « Adrian, dit-il, est-ce qu’il est déjà jour ? — Oui, oui, viens ici. » Il se lève, feignant encore d’être endormi, quitte l’hôte et regagne son lit.
Dès que le jour parut, on se leva. L’hôte se moqua des songes et du songeur ;