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Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/562

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le Toscan, je ne me plains point de n’avoir eu aucune part à vos dons, parce que je ne suis pas tourmenté du désir d’augmenter ma fortune ; mais je me plains de ce que cet oubli paraît déposer et contre mes services et contre le désir que j’ai toujours eu de mériter votre estime. Cependant je reçois votre déclaration avec tout le respect et toute la reconnaissance que je vous dois, et suis prêt à voir tout ce qu’il vous plaira, quoique vous n’ayez aucunement besoin de justification à mon égard. » Le roi le mena dans une grande salle où, selon ses ordres, il y avait deux coffres fermés : « Un de ces coffres, lui dit-il ensuite en présence de plusieurs personnes, contient ma couronne, mon sceptre et mes bijoux les plus précieux ; l’autre ne renferme que de la terre. Prenez lequel des deux il vous plaira : je vous donne celui que vous choisirez. Vous verrez, par cette épreuve, qui de votre étoile ou de moi a été injuste envers vous. »

Roger ayant obéi, le roi fait ouvrir le coffre qu’il avait choisi : c’était celui qui ne contenait que de la terre. « Vous voyez bien, reprit alors Alphonse en riant, que ce que j’ai dit de votre étoile est exactement vrai ; mais vos vertus méritent que j’en corrige la maligne influence. Je sais que vous n’avez nulle envie de devenir Espagnol ; ainsi je ne vous donnerai ni château ni place ; mais je veux que le coffre que la fortune vous a refusé soit à vous en dépit d’elle. Emportez-le dans votre pays ; qu’il soit pour vous et pour les vôtres un témoignage de votre vertu et de mon empressement à récompenser le mérite. Roger reçut le présent, et, après avoir fait les remercîments qu’il méritait, il reprit, bien joyeux, le chemin de la Toscane.


NOUVELLE II

GUINOT DE TACCO

Guinot de Tacco, renommé par son audace et ses brigandages, ennemi des comtes de Saint-Flour, chassé de Sienne, fit révolter la ville de Radicofani contre la cour de Rome, s’y établit, et pour s’y soutenir, faisait détrousser tous ceux qui passaient dans les environs par les satellites qui lui étaient attachés. Boniface VIII occupait alors la chaire pontificale. L’abbé de Clugny, qu’on regarde comme le plus riche prélat de toute la chrétienté, vint faire dans ce temps sa cour à Rome. Là, s’étant gâté l’estomac par les excès de la bonne chère, les médecins lui conseillèrent d’aller prendre les eaux de Sienne, et en ayant obtenu