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Page:Boccace - Contes de Boccace, trad De Castres, 1869.djvu/592

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NOUVELLE VIII

LES DEUX AMIS

Du temps d’Octave César, qui n’avait pas encore le nom d’Auguste, mais qui gouvernait l’empire romain sous le titre de triumvir, il y avait à Rome un gentilhomme nommé Publius Quintus Fulvius. Son fils, nommé Titus Quintus Fulvius, doué d’un bon esprit et animé d’un goût vif pour les sciences, fut envoyé à Athènes pour y apprendre la philosophie. Son père le recommanda à un Athénien, nommé Crémès, son ancien ami. Celui-ci le logea dans sa propre maison, et le fit étudier, avec son fils, sous le philosophe Aristippe. Le jeune Athénien se nommait Gisippus. L’analogie de l’âge et du caractère, l’application aux mêmes exercices, l’habitude de vivre sous le même toit, établirent entre ces deux jeunes étudiants l’amitié la plus tendre, qui ne finit qu’à leur mort. Ils n’avaient de bons moments que ceux qu’ils passaient ensemble, et comme ils étaient doués tout deux d’un esprit pénétrant et actif, ils s’élevèrent bientôt l’un et l’autre aux sublimes hauteurs de la philosophie, et partageaient entre eux, sans jalousie, les louanges et l’admiration des personnes éclairées. Crémès, dont le cœur avait peine à les distinguer, voyait avec la plus grande satisfaction cette union si belle, et il y avait déjà trois ans qu’il en avait été témoin, sans y apercevoir la plus légère altération, lorsque la mort vint terminer les jours de ce vieillard. Les deux jeunes hommes portèrent un deuil égal, et les amis de Crémès auraient eu peine à distinguer le véritable fils, et lequel des deux avait plus besoin de consolation.

Quelques mois après, les parents de Gisippus vinrent le voir ; là, d’accord avec Titus, ils lui conseillèrent de se marier, et lui proposèrent une jeune demoiselle, qui joignait à une grande naissance une plus grande beauté. Elle était citoyenne d’Athènes, se nommait Sophronie, et n’avait guère plus de quinze ans. Le jour des noces approchant, Gisippus pria son ami de l’accompagner chez sa future épouse, qu’il n’avait point encore vue. Arrivés dans sa maison, elle les accueille gracieusement et se place au milieu d’eux. Le Romain, qui était bien aise de connaître la beauté de celle que son ami devait épouser, la considéra avec la plus grande attention. Ce dangereux examen eut l’effet qu’il était aisé de prévoir. Titus devint, dans un moment, le plus amoureux de tous les hommes : chaque trait de la belle Sophronie avait fait sur son cœur la