Page:Boccace - Décaméron.djvu/171

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

elles sont toutes jeunes, et il me semble qu’elles ont le diable au corps, car on ne peut rien faire à leur goût. Au contraire, souvent, quand je travaillais au jardin, l’une disait ; Porte ceci là, et l’autre disait : Porte-le ici ; une autre m’enlevait la bêche des mains et disait : Ceci n’est pas bien : et elles me causaient tant de tracas que je laissais là l’ouvrage et que je sortais du jardin. De sorte que, soit pour une chose, soit pour une autre, je n’ai plus voulu y rester, et je m’en suis venu. Leur intendant, quand je suis parti, m’a prié, si j’avais sous la main quelqu’un qui pût faire ce service, de le lui envoyer, et je le lui ai promis ; mais Dieu le fasse solide des reins comme je lui en chercherai et lui en enverrai un ! — »

« Quand Masetto eut entendu ce que lui disait Nuto, il lui vint en l’esprit un si grand désir d’être avec ces nonnes qu’il s’en consumait tout entier, comprenant bien aux paroles de Nuto qu’il pourrait venir à bout de ce qu’il désirait. Mais avisant qu’il n’y arriverait pas s’il ne lui parlait point, il lui dit : « — Et ! comme tu as bien fait de t’en revenir ! Un homme est-il fait pour vivre avec des femmes ? Il lui vaudrait mieux vivre avec des diables. Elles ne savent pas, six fois sur sept, ce qu’elles veulent elles-mêmes. — » Mais dès que leur entretien eut cessé, Masetto se mit à songer à la façon dont il s’y devait prendre pour s’introduire près d’elles ; et comme il se savait parfaitement apte aux services dont parlait Nuto, il ne craignit pas d’être refusé pour ce motif, mais parce qu’il était trop jeune et de bonne mine. Pour quoi, avoir ruminé en soi-même de nombreux projets, il se dit : « — L’endroit est très loin d’ici et personne ne m’y connaît. Si je sais faire semblant d’être muet, certainement j’y serai reçu. — » Et s’arrêtant à cette ruse, sa cognée au cou, sans dire à personne où il allait, il s’en vint au monastère comme un pauvre homme. Y étant arrivé, il y entra et trouva par hasard l’intendant dans la cour. Alors, par gestes, comme font les muets, il lui témoigna le désir d’avoir à manger pour l’amour de Dieu, lui donnant à entendre que, s’il en avait besoin, il irait lui fendre du bois. L’intendant lui donna volontiers à manger, puis il le mit devant quelques souches que Nuto n’avait pas pu fendre, et que lui, qui était très robuste, fendit toutes en peu de temps. L’intendant, qui avait besoin d’aller au bois, l’emmena ensuite avec lui et, là, lui fit couper des fagots ; puis ayant mis l’âne devant lui, il lui fit comprendre par signes de le conduire au couvent. Masetto s’en acquitta fort bien ; pour quoi l’intendant le retint plusieurs jours pour certains travaux qu’il y avait à faire.

« Or il advint qu’un jour l’abbesse le vit et demanda à l’intendant qui il était. Celui-ci lui dit : « — Madame, c’est