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Page:Boccace - Décaméron.djvu/186

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qui déjà par deux fois ayant reconnu ce que signifiaient les reproches de ce moine, était aux écoutes, et par des réponses embarrassées s’ingéniant à le faire parler, il lui dit tout d’abord : « — Pourquoi ce courroux, messire ! ai-je crucifié le Christ ? — » À quoi le moine répondit : « — Voyez le déhonté ! entendez ce qu’il dit ! il parle ni plus ni moins comme si un an ou deux s’étaient passés, et comme si ses méfaits et sa malhonnêteté eussent été oubliés par longueur de temps. T’est-il donc, depuis ce matin jusqu’à présent, sorti de la mémoire que tu avais outragé autrui ? Où as-tu été ce matin un peu avant le jour ? — » Le brave homme répondit : «  — Je ne sais où j’ai été ; mais la nouvelle vous en est arrivé bien vite. — » « — C’est vrai — dit le moine — que la nouvelle m’en est arrivée. Je m’avise que tu croyais que parce que le mari n’y était pas, la gente dame dût te recevoir incontinent dans ses bras. Hé ! messire, en voilà un honnête homme ! il est devenu coureur de nuit, ouvreur de jardin et grimpeur d’arbres. Croyais-tu par ton importunité vaincre l’honnêteté de cette dame, que tu vas grimper jusqu’à ses fenêtres la nuit le long des arbres ? Rien ne lui déplaît plus au monde que toi ; cependant tu tentes de nouveau l’aventure. En vérité, laissons de côté qu’elle te l’a montré en beaucoup de choses, mais tu t’es bien amendé par mes admonestations ! Mais voici ce que je veux te dire. Jusqu’ici, non par l’amour qu’elle te porte, mais grâce à l’insistance de mes prières, elle a tu ce que tu as fait, mais elle ne le taira plus ; je lui ai accordé la permission, si tu lui déplais encore en quoi que ce soit, de faire à sa guise. Que feras-tu, si elle le dit à ses frères ? — »

« Le brave homme ayant suffisamment compris ce qu’il avait besoin de savoir, apaisa le moine du mieux qu’il sut et qu’il put par d’amples promesses, et prit congé de lui. Le lendemain matin il pénétra dans le jardin, grimpa sur l’arbre, et ayant trouvé la fenêtre ouverte il entra dans la chambre où, le plus tôt qu’il put, il se mit dans les bras de sa belle dame. Celle-ci, qui l’avait attendu avec le plus grand désir, le reçut joyeusement en disant : « — Grand merci à messer le moine, qui t’a si bien enseigné le chemin pour venir ici. — « Puis, prenant l’un de l’autre plaisir, causant et riant beaucoup de la simplicité de l’imbécile de moine, plaisantant les étoupes, les peignes et les cardes, ils se satisfirent ensemble à leur grand contentement. Et ayant combiné leurs plans, ils firent en sorte, sans plus avoir à retourner vers messer le moine, de se retrouver ensemble un grand nombre d’autres nuits avec un égal plaisir. Et je prie Dieu que sa sainte miséricorde m’en octroie de semblables à moi et à toutes les âmes chrétiennes qui en ont désir. — »