Page:Boccace - Décaméron.djvu/190

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elle jusqu’au matin. Alors il se levait, s’en allait, et frère Puccio regagnait son lit.

« L’endroit que frère Puccio avait choisi pour faire sa pénitence se trouvait tout à côté de la chambre où couchait la dame et n’en était séparé que par une mince cloison. Une nuit que le moine et la dame se trémoussaient par trop vigoureusement, il sembla à frère Puccio que le plancher remuait. Sur quoi, comme il avait déjà dit cent Pater noster, il s’arrêta et, sans bouger, appela sa femme et lui demanda ce qu’elle faisait. La dame, qui était d’humeur plaisante, et qui en ce moment chevauchait probablement la bête de saint Benoît ou celle de saint Jean Gualberto, répondit : « — Ma foi, mon cher mari, je me trémousse tant que je peux. — » Frère Puccio dit alors : « — Comment tu te trémousses ! que signifie ce trémoussement ? — » La dame, riant, et d’un air joyeux, car elle était gaillarde et avait sans doute ses raisons pour rire, répondit : « — Comment, vous ne savez pas ce que cela signifie ? Je vous l’ai entendu dire mille fois : qui n’a pas soupé le soir se démène toute la nuit. — » Frère Puccio crut que le jeûne l’empêchait en effet de dormir et la faisait ainsi se retourner sur son lit ; pour quoi, il lui dit naïvement : « — Femme, je te l’ai bien dit de ne pas jeûner ; mais enfin puisque tu as voulu le faire, ne pense pas à cela, et songe à dormir. Tu donnes de telles secousses au lit, que tu fais tout remuer dans la maison. — » La dame dit alors : « — Ne vous en inquiétez pas ; je sais bien ce que je fais ; faites votre affaire en conscience, moi je ferai du mieux que je pourrai. — » Frère Puccio se tut et se remit à ses patenôtres.

« À partir de cette nuit, la dame et messer le moine, ayant fait préparer un lit dans une autre partie de la maison, s’y fêtèrent grandement pendant tout le temps que dura la pénitence de frère Puccio. À l’heure dite, le moine s’en allait, la dame retournait à son lit et, peu après, frère Puccio revenait de l’endroit où il faisait sa pénitence. Les choses continuant de cette façon, frère Puccio faisant la pénitence et la dame et le moine prenant le plaisir, elle dit plusieurs fois à son compagnon : « — Tu fais faire à frère Puccio la pénitence grâce à laquelle nous avons gagné le paradis ! — » Et comme cela semblait plaire beaucoup à la dame qui avait été longtemps tenue à la diète par son mari, elle s’habitua si bien à la bonne chère que lui octroyait le moine, qu’une fois la pénitence de frère Puccio finie, elle trouva moyen de se rassasier ailleurs avec lui, et d’en prendre longuement et à discrétion. Ainsi, pour que mes dernières paroles concordent avec les premières, il advint que, tandis que frère Puccio crut gagner le paradis en faisant pénitence, il y envoya et le moine qui lui avait montré le chemin pour y aller, et sa