Page:Boccace - Décaméron.djvu/231

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malheureuse épouse qui, pour te laisser revenir en ta demeure m’en suis allée longtemps errante. Je te requiers, par Dieu, que tu observes les conditions que tu m’as imposées par les deux chevaliers que je t’envoyai, et voici dans mes bras, non pas un fils de toi, mais deux, et voici également ton anneau. Il est donc temps que je sois reçue par toi comme ta femme, selon ta promesse. — ».

« Le comte, entendant cela, s’étonna grandement et reconnut l’anneau ainsi que les enfants qui étaient si ressemblants à lui, mais cependant il dit : » — Comment tout ceci peut-il être arrivé ? — » La comtesse, au grand étonnement du comte et de tous les autres assistants, lui conta avec ordre ce qui s’était passé et comment cela s’était fait. Pour quoi, le comte, sentant qu’elle disait la vérité, et voyant et son grand sens et sa persévérance, et enfin deux petits enfants si beaux, tant pour tenir ce qu’il avait promis que pour complaire à tous ses hommes et aux dames, qui tous le priaient de la recevoir désormais et de l’honorer comme sa légitime épouse, mit fin à son obstination cruelle, et fit lever la comtesse ; et l’ayant embrassée et baisée, il la reconnut pour sa légitime femme et ceux-ci pour ses fils. Et l’ayant fait vêtir de vêtements convenables à son rang, il fit, au grandissime plaisir de tous ceux qui étaient là et de tous ses autres vassaux, une très grande fête, non seulement tout ce jour, mais pendant plusieurs autres encore ; et à partir de ce moment, l’honorant toujours comme son épouse légitime, il l’aima et l’eut pour souverainement chère. — »


NOUVELLE X


Alibech s’étant faite ermite, le moine Rustico, lui apprend à remettre le diable en enfer. Elle devient ensuite la femme de Néerbale.


Dioneo, qui avait écouté attentivement la nouvelle de la reine, voyant qu’elle était finie et qu’à lui seul restait à raconter, se mit à dire en souriant, et sans en attendre l’ordre : « — Gracieuses dames, vous m’avez peut-être jamais entendu dire comment on remet le diable en enfer ; pour quoi, sans me départir beaucoup du sujet sur lequel vous avez parlé pendant toute cette journée, je vais vous le dire. Peut-être, l’ayant appris, pourrez-vous en acquérir quelque esprit. Vous pourrez aussi reconnaître que, bien qu’il habite plus volontiers les palais joyeux et les moelleux appartements que les pauvres cabanes, Amour n’en fait pas moins parfois sentir ses forces jusqu’au milieu des bois épais, des