la moindre prière pour elle, de ne plus rester vivante, croyant déjà que son Guiscardo était mort. Pour quoi, non en femme éplorée ou contrite de sa faute, mais comme une vaillante et sans témoigner de crainte, d’un visage sec et ouvert, et nullement troublée, elle parla ainsi à son père : « — Tancrède, je ne suis disposée ni à nier, ni à prier, pour ce que l’un ne me servirait à rien, et que je ne veux pas que l’autre me serve. En outre, par aucun acte de soumission je n’entends me rendre bénévoles ta mansuétude et ton affection ; mais confessant la vérité, je veux d’abord, par de vraies raisons, défendre mon honneur, puis, par des faits, montrer la grandeur de mon âme. Il est vrai que j’ai aimé et que j’aime Guiscardo, et tant que je vivrai, ce qui sera peu, je l’aimerai ; et si après la mort on s’aime, je ne cesserai pas de l’aimer. Mais à cela ce n’est pas tant ma fragilité de femme qui m’a conduite, que ton peu de sollicitude à me remarier, et sa propre vertu. Tu aurais dû comprendre, Tancrède, étant toi-même de chair, que tu avais engendré une fille de chair et non de pierre ou de fer ; et tu devais, tu dois te rappeler, bien que tu sois vieux maintenant, quelles sont, et combien nombreuses et avec quelle force viennent les lois de la jeunesse ; et bien que toi, homme, tu te sois exercé dans les armes une partie de tes meilleures années, tu ne devais pas moins savoir ce que peuvent les oisivetés et les douceurs de la vie chez les vieux non moins que chez les jeunes. Je suis donc, comme étant née de toi, de chair, et j’ai si peu vécu que je suis encore jeune, et, pour l’une et l’autre cause, je suis remplie de concupiscence et de désir ; à quoi est venue ajouter de merveilleuses forces cette circonstance que déjà, pour avoir été mariée, j’ai connu quel plaisir c’est que de satisfaire ce désir. Auxquelles forces ne pouvant résister, je me suis laissée aller à ce vers quoi elle me tiraient comme jeune et comme femme, et je suis devenue amoureuse. Et certes, en cela j’opposai toute ma vertu, ne voulant pas, autant qu’il était par moi possible, que le penchant qui m’entraînait vers ce péché naturel, nous fît honte ni à toi, ni à moi. À cette fin, l’amour pitoyable et la fortune amie m’avaient montré une voie très cachée par laquelle, sans que personne s’en aperçût je parvenais à satisfaire mes désirs ; et cela, quel que soit celui qui te l’ait montré, ou le moyen par lequel tu l’as su, je ne le nie point. J’ai pris Guiscardo, non par hasard, comme beaucoup font, mais après mûre réflexion je l’ai choisi par-dessus tout autre, et je l’ai introduit près de moi de propos délibéré, et avec une sage persévérance de lui et de moi j’ai satisfait longuement mon désir. Dont il semble que, outre la faute d’avoir péché par amour, suivant plus volontiers la vulgaire opinion que la vérité, tu
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