Ce qui donna encore plus de force à cette peste, ce fut qu’elle se communiquait des malades aux personnes saines, de la même façon que le feu quand on l’approche d’une grande quantité de matières sèches ou ointes. Et le mal s’accrut encore non-seulement de ce que la fréquentation des malades donnait aux gens bien portants la maladie ou les germes d’une mort commune, mais de ce qu’il suffisait de toucher les vêtements ou quelque autre objet ayant appartenu aux malades, pour que la maladie fût communiquée à qui les avait touchés. C’est chose merveilleuse à entendre, ce que j’ai à dire ; et si cela n’avait pas été vu par les yeux d’un grand nombre de personnes et par les miens, loin d’oser l’écrire, à peine pourrais-je le croire même si je l’avais entendu de la bouche d’un homme digne de foi. Je dis que l’énergie de cette pestilence fut telle à se communiquer de l’un à l’autre, que non-seulement elle se transmettait de l’homme à l’homme, mais, chose plus étonnante encore, qu’il arriva très souvent qu’un animal étranger à l’espèce humaine, pour avoir touché un objet ayant appartenu à une personne malade ou morte de cette maladie, tombait lui-même malade et périssait dans un très court espace de temps. De quoi mes yeux — comme j’ai dit plus haut — eurent un jour, entre autres faits du même genre, la preuve suivante : les haillons d’un pauvre homme mort de la peste ayant été jetés sur la voie publique, deux porcs étaient survenus et, selon leur habitude, avaient pris ces haillons dans leur gueule et les avaient déchirés du groin et des dents. Au bout d’une heure à peine, après avoir tourné sur eux-mêmes comme s’ils avaient pris du poison, ils tombèrent morts tous les deux sur les haillons qu’ils avaient malencontreusement mis en pièces.
De ces choses et de beaucoup d’autres semblables, naquirent diverses peurs et imaginations parmi ceux qui survivaient, et presque tous en arrivaient à ce degré de cruauté d’abandonner et de fuir les malades et tout ce qui leur avait appartenu ; et, ce faisant, chacun croyait garantir son propre salut. D’aucuns pensaient que vivre avec modération et se garder de tout excès, était la meilleure manière de résister à un tel fléau. S’étant formés en sociétés, ils vivaient séparés de tous les autres groupes. Réunis et renfermés dans les maisons où il n’y avait point de malades et où ils pouvaient vivre le mieux ; usant avec une extrême tempérance des mets les plus délicats et des meilleurs vins ; fuyant toute luxure, sans se permettre de parler à personne, et sans vouloir écouter aucune nouvelle du dehors au sujet de la mortalité ou des malades, ils passaient leur temps à faire de la musique et à se livrer aux divertissements qu’ils pouvaient se procurer. D’autres, d’une opinion contraire, affirmaient que boire beaucoup, jouir, aller d’un côté et d’au-