Page:Boccace - Décaméron.djvu/253

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les souhaite point. Qui vit jamais quelqu’un, sinon toi, pleurer sur ce qu’il a voulu ? Mais pourtant, si un reste de cet amour que tu m’as autrefois porté vit encore en toi, accorde-moi comme dernière faveur, puisqu’il ne t’a pas plu que je vécusse secrètement et en cachette avec Guiscardo, que mon corps soit enterré publiquement avec le sien, quelque part que tu l’aies fait jeter après sa mort. — » L’angoisse de ses pleurs ne permit pas au prince de répondre. Alors la jeune femme sentant sa fin venue, serrant le cœur mort sur sa poitrine, dit : « — Restez avec Dieu, car moi je m’en vais. — » Et ayant fermé ses yeux et perdu tout sentiment, elle quitta cette vie de douleur. Ainsi eut douloureuse fin l’amour de Guiscardo et de Ghismonda, comme vous l’avez entendu. Après avoir beaucoup pleuré sur eux, Tancrède se repentant trop tard de sa cruauté, les fit, au milieu de la douleur générale des Salernitains, honorablement ensevelir tous deux dans un même tombeau. — »



NOUVELLE II


Frère Alberto fait croire à une dame que l’ange Gabriel est amoureux d’elle, et se faisant passer pour l’ange Gabriel, il couche plusieurs fois avec la dame. Surpris par les parents de cette dernière, il se sauve de chez elle et se réfugie chez un pauvre homme qui, le lendemain, le conduit sur la place sous le déguisement d’un homme sauvage. Là, il est reconnu, pris et mis en prison.


La nouvelle contée par la Fiammetta avait plus d’une fois tiré les larmes des yeux de ses compagnes, mais quand elle fut finie, le roi dit d’un air sombre : « — Je croirais faire un bon marché, s’il me fallait donner ma vie pour la moitié du plaisir que Guiscardo eut avec Ghismonda, et pas une de vous ne s’en doit étonner, puisqu’à chaque heure de mon existence je ressens mille morts, sans que pour toutes ces heures douloureuses il me soit concédé la moindre parcelle de plaisir. Mais laissant pour le moment ce qui me concerne, je veux qu’avec de tristes récits, en partie semblables à mes propres malheurs, Pampinea, continue. Si elle poursuit comme la Fiammetta a commencé, je me mettrai sans aucun doute à sentir quelque rafraîchissement tomber sur le feu qui me consume. — » Pampinea voyant que l’ordre lui était venu, comprit plutôt par son affection pour elles le désir de ses compagnes, que par ses paroles celui du roi, et pour ce, plus disposée pour les récréer un peu que pour contenter le roi uniquement sur son ordre, à dire une nouvelle pour rire sans sortir du sujet proposé, elle commença :