Page:Boccace - Décaméron.djvu/312

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

monter sur le navire quand il en serait besoin ; avec les deux autres, il alla vers la maison de Pasimonde, où étant arrivé, il en laissa un à la porte, afin que personne ne pût l’y enfermer ou lui en interdire la sortie, et avec le troisième il monta l’escalier, suivi de Cimon. Parvenus dans la salle où les nouvelles épousées étaient déjà assises à table, avec bon nombre d’autres dames, pour manger, ils se précipitèrent en avant, renversèrent les tables, et chacun d’eux ayant pris sa dame, et l’ayant remise aux mains de ses compagnons, ils donnèrent l’ordre de les conduire sur-le-champ au navire préparé pour les recevoir. Les nouvelles épousées se mirent à pleurer et à crier, comme aussi les autres dames et les serviteurs, et soudain la maison fut remplie de tumulte et de plaintes. Mais Cimon et Lisimaque, ainsi que leurs compagnons, ayant tiré les épées hors du fourreau, et chassant de leur chemin tout le monde, se dirigèrent vers les escaliers ; ils les descendaient, quand ils rencontrèrent Pasimonde qui, un grand bâton à la main, accourait au bruit, et sur la tête duquel Cimon asséna un tel coup, qu’il la lui fendit à moitié et l’étendit mort à ses pieds. Le malheureux Ormisda courant au secours de son frère, fut également tué d’un seul coup par Cimon, et tous ceux qui voulurent ensuite s’approcher, furent blessés et rejetés en arrière par les compagnons de Cimon et de Lisimaque.

« Ces derniers, laissant la maison pleine de sang, de tumulte, de larmes et de tristesse, arrivèrent en groupe serré au navire avec leur proie et sans autre empêchement ; y étant montés eux-mêmes avec tous leurs compagnons, ils battirent l’eau de leurs rames et s’en allèrent joyeux de leurs faits d’armes, au moment même où le rivage se couvrait de gens armés accourus au secours des dames. Arrivés en Crète, ils furent reçus joyeusement par de nombreux amis et parents, et ayant épousé leurs dames et fait grande chère, ils jouirent en joie de leur rapine.

« Par suite de ces événements, il y eut pendant longtemps de grands troubles et des bruits à Chypre et à Rhodes. À la fin, cependant, les amis et les parents s’étant interposés tant d’un côté que de l’autre, ils arrangèrent les choses de façon que, après quelque temps d’exil, Cimon retourna heureux à Chypre avec Éphigénie, et que Lisimaque rentra à Rhodes avec Cassandre ; et tous deux vécurent dans leur pays avec leur dame, longtemps et en liesse. — »