neo, qui n’attendait jamais qu’on lui en donnât l’ordre, commença : « — Je ne sais si je puis dire que ce soit un vice accidentel et né chez les hommes de la perversité des mœurs, ou bien que ce soit un vice naturel que de rire plutôt des choses mauvaises que des bonnes, et spécialement quand celles-ci ne nous touchent point personnellement. Et comme la peine que j’ai déjà prise et que je vais prendre encore présentement, n’a pas d’autre but que de vous arracher à la mélancolie, de vous mettre en joie et de vous faire rire, et bien que le sujet de la nouvelle qui va suivre soit, en partie du moins, ô jeunes dames amoureuses, rien moins qu’honnête, je vous la raconterai cependant parce qu’elle pourra vous amuser. Quant à vous, en l’écoutant, vous ferez à son égard comme vous faites d’habitude quand vous entrez dans un jardin et que, étendant votre main mignonne, vous cueillez les roses et laissez les épines. Vous agirez de même en laissant le mauvais homme dont je vais vous parler à sa male aventure et à son déshonneur, et vous rirez des fourberies amoureuses de sa femme, gardant votre pitié pour les malheurs d’autrui, quand besoin sera.
« Il n’y a pas longtemps encore était à Pérouse un homme riche, nommé Pietro di Vinciolo, qui, plus pour tromper les autres et atténuer l’opinion générale que tous les Pérusiens avaient de lui, que pour l’envie qu’il en avait, prit femme ; et en cela, fortune fut conforme à son appétit, car la femme qu’il prit était une jeune fille plantureuse, au poil roux, prompte à s’enflammer, et qui aurait voulu deux maris plutôt qu’un, alors qu’il lui en échut un qui avait l’esprit disposé à toute autre chose qu’à la satisfaire. Elle s’en aperçut au bout de peu de temps, et se voyant belle et fraîche, se sentant gaillarde et vigoureuse, elle commença tout d’abord par en être fortement irritée et à s’en expliquer avec aigreur à diverses reprises avec son mari, avec lequel elle était quasi toujours en querelle. Puis, voyant que tout cela tournerait plutôt à l’épuisement de sa santé qu’à amender la bestialité de son mari, elle se dit à elle-même : « — Ce malheureux m’abandonne pour courir d’une manière ignoble en sabots par la voie sèche ; eh bien ! moi je verrai à en porter un autre dans ma barque par la voie pluvieuse. Je l’ai pris pour mari et je lui ai donné une grosse et bonne dot, sachant que c’était un homme, et croyant qu’il aimait ce qu’aiment et doivent aimer les hommes ; et si je n’avais pas cru qu’il fût un homme, je ne l’aurais jamais pris. Lui, qui savait que j’étais femme, pourquoi me prenait-il pour épouse, si les femmes étaient si antipathiques à ses goûts ? Cela ne se peut souffrir. Si je n’avais pas voulu vivre dans le monde, je me serais faite religieuse ; mais voulant y vivre comme je l’entends et comme j’y suis, si j’attendais