Ceux-ci, qui avaient été prévenus par eux, faisant semblant de ne point voir Calandrino, le laissèrent passer en riant de leur mieux.
« Sans s’arrêter, Calandrino alla droit à sa maison qui était près du Coin des Moulins ; et tout favorisa si bien l’aventure que, pendant tout le temps que Calandrino marcha le long de la rivière et qu’il traversa la ville, personne ne lui adressa la parole, bien qu’il eût rencontré quelques passants, pour ce que presque tout le monde était à déjeuner. Calandrino entra donc ainsi chargé à la maison. Sa femme, nommée Monna Tessa, belle et intelligente dame, se trouvait par hasard en haut de l’escalier. Déjà un peu irritée de sa longue absence, elle se mit en le voyant venir, à l’apostropher ainsi : « — Le diable ne te fait jamais rentrer ; tout le monde a déjeuné, quand toi tu reviens déjeûner. — » À ces mots, Calandrino, comprenant que sa femme l’avait déjà vu, se mit à dire, plein de courroux et de dépit : « — Ah ! méchante femme, tu étais là ? Tu m’as ruiné ; mais, sur ma foi en Dieu, je te le revaudrai. — » Et étant monté dans une petite chambre, il déchargea toutes les pierres qu’il avait ramassées ; puis, tout furieux, il courut vers sa femme, et l’ayant saisie par les cheveux, il la jeta par terre et lui donna par tout le corps tant de coups de pieds et de coups de poings, qu’il ne lui laissa pas un cheveu sur la tête ou un endroit qui ne fût meurtri, la malheureuse criant en vain merci en joignant les mains.
« Buffamalcco et Bruno, après avoir ri quelque temps avec les gardiens, se mirent à suivre Calandrino de loin et à petits pas. Arrivés à la porte de chez lui, ils entendirent la raclée qu’il donnait à sa femme, et, feignant alors d’arriver, ils l’appelèrent. Calandrino, tout en sueur, rouge et enflammé de colère, vint à la fenêtre et les pria de monter. Ils montèrent, faisant semblant d’être un peu irrités, et, quand ils furent en haut, ils virent la chambre pleine de pierres, la dame échevelée, le visage meurtri, toute pâle et pleurant à chaudes larmes dans un coin, et Calandrino assis dans un autre coin, les vêtements défaits et soufflant comme un homme harassé. Quand ils eurent regardé un certain temps, ils dirent : « Qu’est-ce donc, Calandrino ? Veux-tu bâtir, que nous voyons ici tant de pierres ? — » Puis ils ajoutèrent : « — Et Monna Tessa, qu’a-t-elle ; il paraît que tu l’as battue ! Qu’est-ce que tout cela ? — » Calandrino, fatigué d’avoir porté ses pierres et d’avoir battu sa femme avec tant de rage, tout chagrin de la bonne fortune qu’il croyait avoir perdue, ne pouvait rassembler ses esprits et répondre une seule parole. Pour quoi, comme il se taisait, Buffamalcco reprit : « — Calandrino, si tu avais un autre sujet de colère, tu n’aurais pas dû te moquer de nous comme