Page:Boccace - Décaméron.djvu/491

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était encore là, elle se calma un peu, et elle les pria, pour l’amour de Dieu, de n’en jamais rien dire à personne.

« Le laboureur, après de nombreuses paroles, ayant mis sur ses épaules la dame qui ne pouvait marcher, la porta enfin sans encombre hors de la tour. La malheureuse servante, qui était restée en arrière, en descendant avec moins de précautions, fit un faux pas, tomba de l’échelle par terre et se rompit la cuisse, sur quoi, de douleur, elle se mit à mugir si fort qu’on aurait dit un lion. Le laboureur, ayant déposé la dame sur un tas d’herbes, alla voir ce qu’avait la servante, et ayant vu qu’elle avait la cuisse rompue, il la porta aussi sur le tas d’herbes, et la posa à côté de la dame. Celle-ci, voyant ce nouveau malheur s’adjoindre à tous ses autres maux, celle dont elle espérait aide plus que de toute autre avec la cuisse cassée, fut affligée outre mesure, et recommença à pleurer si misérablement que non seulement le laboureur ne la put consoler, mais qu’il se mit de son côté à pleurer aussi. Mais, le soleil étant déjà bas, afin que la nuit ne les surprît point en cet endroit, selon le désir de l’inconsolable dame, il s’en alla chez lui, et là, ayant appelé ses deux frères et sa femme, ils revinrent tous les quatre avec une civière sur laquelle ils mirent la servante et la portèrent à la maison. Puis le laboureur ayant réconforté la dame avec un peu d’eau fraîche et de bonnes paroles, la prit sur son dos et la porta dans sa chambre. La femme du laboureur, après lui avoir donné à manger du pain lavé et l’avoir déshabillée, la mit au lit, et ils prirent leurs mesures pour que la servante et elle fussent transportées à Florence pendant la nuit ; ce qui fut fait. Là, la dame qui avait à sa disposition un grand fonds de mensonges, ayant inventé une fable tout à fait opposée à ce qui était arrivé, fit croire à ses frères et à ses sœurs, et à tout le monde que tout cela était arrivé à sa servante et à elle par enchantements de démons. Les médecins furent appelés, et non sans grandissime angoisse et péril pour la dame dont la peau resta plus d’une fois attachée à ses draps, ils la guérirent d’une ardente fièvre et des autres accidents. Ils guérirent aussi la servante de sa cuisse cassée. Sur quoi, la dame ayant oublié son amant, se garda dorénavant de se moquer des autres et d’aimer. Quant à l’écolier, apprenant que la servante s’était rompue la cuisse, il estima avoir obtenu une entière vengeance, et joyeux, il passa outre sans plus rien dire.

« Voilà donc ce qu’il advint à la sotte jeune dame de ses moqueries. Elle avait cru se jouer d’un écolier comme elle aurait fait d’un autre, ne sachant point que la plupart d’entre eux, sinon tous, savent où le diable a la queue. Et pour ce, gardez-vous, mes dames, de vous moquer de personne, et surtout des écoliers. — »