Page:Boccace - Décaméron.djvu/55

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enfants, qui, après la mort de leur père, voulant chacun occuper sa succession et sa dignité, et se les déniant l’un à l’autre, produisirent leur anneau aux yeux de tous, en témoignage de leur prétention. Les anneaux furent trouvés tellement pareils, que l’on ne savait reconnaître le vrai, et que la question de savoir quel était le véritable héritier du père resta pendante et l’est encore. Et j’en dis de même, mon seigneur, des trois religions données aux trois peuples par Dieu le Père, et sur lesquelles vous me questionnez. Chacun d’eux croit être son héritier et avoir sa vraie loi et ses vrais commandements ; mais la question de savoir qui les a est encore pendante, comme celle des anneaux. — »

« Le Saladin reconnut que le juif avait su échapper très adroitement au lacet qu’il lui avait jeté dans les jambes ; c’est pourquoi il se décida à lui exposer son besoin d’argent, et à lui demander s’il voulait lui rendre service ; et ainsi il fit, lui avouant ce qu’il avait eu l’intention de faire s’il ne lui avait pas répondu aussi discrètement qu’il avait fait. Le juif, de son propre chef, prêta au Saladin tout ce que ce dernier lui demanda et, par la suite, le Saladin le remboursa entièrement. Il lui fit en outre de grands dons, le tint toujours pour son ami, et le garda près de lui, dans une grande et honorable situation. — »



NOUVELLE IV

Un moine ayant commis un péché digne d’une très grave punition, échappe à la peine qu’il avait méritée en reprochant adroitement la même faute à son abbé.


Déjà Philomène, débarrassée de sa nouvelle, avait fait silence, quand Dioneo qui était assis près d’elle, sans attendre le commandement de la reine, et voyant par l’ordre adopté que c’était à lui à conter, se mit à parler de la façon suivante. « — Amoureuses dames, si j’ai bien compris l’intention de vous toutes, nous somme ici pour nous divertir nous-mêmes en contant des nouvelles. Et pour ce, afin qu’il ne soit point contrevenu à cela, j’estime qu’il doit être permis à chacun — et c’est ce que notre reine elle-même a dit il y a un moment — de conter la nouvelle qu’il croit devoir le plus amuser. Pour quoi, venant d’entendre qu’Abraham avait eu l’âme sauvée par les bons conseils de Jeannot de Chevigné, et que Melchissedec par sa présence d’esprit avait défendu ses richesses des embûches de Saladin, je veux, sans m’exposer à des reproches de votre part, conter brièvement