Page:Boccace - Décaméron.djvu/556

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pourrais me faire redevenir femme, comme je suis. — » Compère Pierre, qui était aussi simple que pas un, la crut, goûta le conseil et, du mieux qu’il sut, se mit à solliciter maître Jean de lui enseigner la chose. Maître Jean s’efforça de le détourner de cette sotte idée ; mais ne le pouvant, il dit : « — Eh bien, puisque vous le voulez absolument, nous nous lèverons demain matin, suivant notre habitude, avant le jour, et je vous montrerai comment on fait. À vrai dire, le plus malaisé en cette affaire c’est d’attacher la queue, comme tu verras. — » Compère Pierre et commère Gemmata, ayant à peine dormi de la nuit, tellement ils attendaient le moment désiré, se levèrent dès l’approche du jour et appelèrent maître Jean, lequel s’étant levé en chemise, vint dans la chambre de compère Pierre et dit : « — Je ne sais personne au monde pour qui je ferais cela, si ce n’est pour vous. Donc, puisque cela vous plaît, je le ferai ; mais il faut que vous fassiez tout ce que je vous dirai, si vous voulez que la chose réussisse. — » Ceux-ci dirent qu’ils feraient ce qu’il leur dirait. Sur quoi, maître Jean prit une chandelle, la mit dans la main de compère Pierre et lui dit : « — Regarde bien comme je ferai et rappelle-toi bien comment je dirai. Garde-toi, si tu as bon désir de ne pas gâter tout, quelque chose que tu entendes ou que tu voies, de dire une seule parole ; et prie Dieu que la queue s’attache bien. — » Compère Pierre prit la chandelle et dit qu’il le ferait bien. Alors maître Jean fit mettre commère Gemmata nue comme à sa naissance, et la fit placer les mains et les pieds par terre, comme se tiennent les juments, la prévenant aussi qu’elle n’eût à dire mot, quoiqu’il advînt. Puis, avec les mains, il se mit à lui toucher la figure et la tête et commença par dire : « — Que ceci soit belle tête de jument. — » Il lui toucha les cheveux et dit : — Que ceci soit belle crinière de jument. — » Lui touchant les bras, il dit : « — Et que ceci soit belles jambes et beaux pieds de jument. — » Passant ensuite au sein et le trouvant ferme et rond, il sentit se réveiller et se lever quelque chose qui n’avait pas été appelé, et il dit : « — Que ceci soit beau poitrail de jument. — » Il fit de même pour l’échine, le ventre, la croupe, les cuisses et les jambes. Enfin, ne restant plus à faire que la queue, il leva sa chemise, et prenant le plantoir avec lequel il plantait les hommes, il le mit prestement dans la gaîne pour ce faite, et dit : « — Et que ceci soit belle queue de jument. — » Compère Pierre, qui avait tout regardé fort attentivement, voyant cette dernière opération, et ne la trouvant pas de son goût, dit : « — Ô maître Jean, je n’y veux pas de queue, je n’y veux pas de queue ! — » Déjà l’humide radical, par lequel toutes les plantes prennent racine, était venu, quand maître