Page:Boccace - Décaméron.djvu/625

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tures, des anneaux, une riche et belle couronne et tout ce qui est d’usage pour une nouvelle épousée.

« Le jour qu’il avait fixé pour les noces étant arrivé, Gaultier, vers la troisième heure, monta à cheval ainsi que tous ceux qui étaient venus pour lui faire honneur. Ayant ainsi tout disposé, il dit : « — Seigneurs, il est temps d’aller chercher la nouvelle épousée. — » Et s’étant mis en route, lui et toute sa suite, ils parvinrent au village. Arrivés devant la maison du père de la jeune fille, ils trouvèrent celle-ci portant de l’eau, qui revenait en grande hâte de la fontaine, afin d’aller avec les autres femmes, voir venir l’épousée de Gaultier. Comme Gaultier la vit, il l’appela par son nom, c’est-à-dire Griselda, et lui demanda où était son père. À quoi rougissant, elle répondit : « — Mon seigneur, il est à la maison. — » Alors, Gaultier descendit de cheval, et ayant ordonné à tous ses gens de l’attendre, il entra seul dans la pauvre maison où il trouva le père qui avait nom Jeannot, et lui dit : « — Je suis venu pour épouser la Griselda ; mais auparavant, je veux savoir quelque chose d’elle, en ta présence. — » Et il lui demanda si, l’ayant prise pour femme, elle s’efforcerait toujours de lui complaire, sans se troubler en rien de ce qu’il dirait ou ferait ; si elle serait obéissante, et beaucoup d’autres choses semblables, à toutes lesquelles elle répondit oui. Alors Gaultier, la prenant par la main, la mena au dehors et, en présence de toute sa suite, et des autres assistants, il la fit mettre nue. Ayant fait ensuite apporter les vêtements qu’il avait fait faire, il l’en fit revêtir, chausser, et sur ses cheveux épars comme ils étaient, il fit poser une couronne. Après quoi, chacun s’étonnant de tout cela, il dit : « — Seigneurs, voilà celle que j’entends prendre pour ma femme, du moment qu’elle me veut pour mari. — » Puis, s’étant tourné vers elle qui se tenait rougissante et troublée, il lui dit : « — Griselda, me veux-tu pour ton mari ! — » À quoi, elle répondit : « — Mon seigneur, oui. — » Et il dit : « — Et moi, je te veux pour ma femme. — » Et, en présence de tous, il l’épousa. L’ayant fait monter sur un palefroi, il l’accompagna respectueusement à son château où il la conduisit. Là, les noces furent belles et grandes, et la fête ne fut pas autre que s’il avait pris la fille du roi de France.

« Il sembla qu’en changeant de vêtement, la jeune épouse eût changé d’esprit et de manières. Elle était, comme nous avons déjà dit, belle de corps et de visage, et elle devint aussi avenante qu’elle était belle, et si aimable, de façons si accortes, qu’elle semblait être non la fille de Jeannot, une ancienne gardeuse de moutons, mais la fille de quelque noble seigneur, en quoi elle faisait l’étonnement de tous ceux qui l’avaient primitivement connue. En outre, elle était si