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Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/144

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mutilé pour en porter les nouuelles. Les autres ne veulent pas se vanger 
en leur pays des Ambassadeurs, pour ne sembler jnfracteurs de la foy 
mais bien ils envoyent après pour les tuer, comme fist Tuca Reyne de
 Sclavonie envers le plus jeune de trois Ambassadeurs Romains, qui l’a
voit menacee. Mais le Roy de Moschouie fit bien pis, voyant que un 
certain Ambassadeur Italien se couvroit devant quon luy dist,il luy fit 
attacher son bonnet sur la teste avec un clou , chose cruelle et barbare, et neantmoins il y avait de la faute de la part de l’Ambassadeur, qui
 doibt tenir son rang, & la dignité de son maistre, pourveu que cela se
 face sans mépris du prince auquel on l’envoye. Car quelquesfois les 
Ambassadeurs s’apuyans de la grandeur de leur maistre, s’oublient env
ers les moindres princes , et mesmement les hommes nourris es estats 
populaires, accoutumez de parler en toute liberté, pensent qu’il 
en faut ainsi user envers les Monarques, qui n’ont pas accoustumé de
 ouyr parler franchement, et moins encores qu’on leur die la vérité, qui
 fut cause que Philippe le jeune Roy de Macedoine voyant que l’Ambassadeur Romain l’interrogea trop hardiment, ne se peut tenir de le 
braver par contumelie. Popilius Ambassadeur Romain,fut encores 
plus audacieux envers Antioque Roy d’Asie, faisant un rond avec une
 verge autour de la personne du Roy, en luy disant qu’il rendist response 
devant que fortir du cercle. Obstupefactus est Rex tam violenti impe
rio : et toutesfois il fist ce que les Romains luy mandoyent. De mesme
liberté usa Marius l’aisné envers Mithridate Roy d’Amasie car combien 
qu’il n’eust ny charge d’Ambassadeur, ny d’officier, si est-ce qu’il dist 
au Roy qu’il falloit obéir aux commandemens du peuple Romain, duquel il ne tenoit rien, ou bien estre le plus fort. Alors Mithridate eprouva 
ce qu’on disoit des Romains, qu’ils estoyent plus libres en parole que les 
autres peuples. Et quelquesfois la liberté trop grande sans injure offense 
les princes : qui fut cause que Marc Antoine fist fouetter l’Ambassadeur
d’Auguste. Mais les plus advisez se voyans injuriez n’offensent point les
Ambassadeurs, ains ils demandent réparation de l’injure à leur maistre :
 ou bien ils denoncent la guerre : ainfi fist Charle Comte de Bourgon
gne qui dist aux Ambassadeurs du Roy Loüys xi que son chancelier luy 
avoit bien lavé la teste, mais que le Roy s’en repentiroit et n’y faillit pas 
aussi. Mais le Roy François pour eviter telle contumelie fist dresser un 
gibet à la venue du herault d’Espagne, le menassant de le faire pendre 
s’il ouvroit la bouche, après le defy qu’il avoit dénoncé à l’Empereur
 Charles v.

DE LA SOUVERAINETE.
Chap. ix.