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Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/698

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vertu : & neantmoins l’estat populaire est contraire aux gens de bien. Car la conservation d’une Republique populaire, si nous suivons l’advis de Senophon, est d’avancer aux offices, & benefices les plus vicieux, & les plus indignes : & si le peuple estoit si mal advisé de bailler aux gens vertueux les charges honnorables, & dignitez, il perdroit sa puissance, d’autant que les gens de bien ne porteroyent faveur sinon à leurs semblables, qui sont tousjours en fort petit nombre : & les meschans, & vicieux, qui sont la pluspart du peuple, seroyent rebutez des honneurs, seroyent condamnez, & chassez peu à peu par les Juges entiers, & incorruptibles, & en ce faisant les hommes sages se saisiroyent de l’estat, & l’osteroyent au peuple. c’est pourquoy le peuple Athenien, dit Xeno
phon, donnoit audience aux plus meschans, sçachant bien qu’ils di
royent choses plaisantes, & utiles aux hommes vicieux, qui sont la 
pluspart du peuple. Voila, dit Xenophon, pourquoy je blasme les Atheniens,Droit jugement de Xenophon de l’estat populaire. d’avoir choisi la forme de Republique la plus vicieuse de toutes, mais l’ayans choisie, je les estime fort de se gouverner en la sorte qu’ils font : c’est asçavoir de rebuter, chasser, bannir les hommes nobles, sages, & vertueux : & avancer les impudens, vicieux, & meschans. car le vice que tu blasmes si fort, dit-il, est la conservation de l’estat populaire. Et quant à la justice, le peuple, dit-il, ne s’en soucie aucunement, pourveu qu’il tire profit des jugemens qu’il
 vend au plus offrant, & qu’il ayt moyen de ruiner les riches, les nobles, les gens de bien, qu’il harasse sans cause, pour la haine capitale qu’il a contre telles gens, du tout contraires à son humeur naturel. c’est pourquoy la Republique populaire est la ressource, & le re
fuge de tous hommes turbulens, mutins, seditieux, bannis, qui donnent conseil, confort, & ayde au menu peuple, pour ruiner les grands. 
car quant aux loix on n’y a point d’esgard, veu qu’en Athènes le vouloir du peuple est loy. Voila le jugement que fait Xenophon de la Republique d’Athenes, qu’il dit avoir esté la mieux ordonnée de toutes les Republiques populaires qui fussent de son temps, & ne vouloit 
qu’on y changeait rien, pour maintenir le peuple en sa puissance. Le Jurisconsulte fait semblable jugement de la paillarde, disant que ce n’est pas bien fait d’avoir abandonné son honneur : mais ayant perdu sa honte, que ce n’est pas mal fait de tirer tout le profit qu’elle pourra de son mestier. ainsi conclud Xenophon, que l’estat populaire ne vaut rien, 
mais estant tel, qu’il faut pour sa conservation, bannir des citez populai
res tout honneur, & vertu : c’est à dire que la plus forte tyrannie n’est pas si dangereuse que l’estat populaire ainsi gouverné.Impunité de vices en l’estat populaire. Mais encores y a il une peste plus capitale, des Republiques populaires, c’est l’impunité donnée aux meschans, pourveu qu’ils soyent citoyens, c’est à dire petits Roys : & mesmes en l’estat populaire des Romains, il