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LA CONSOLATION PHILOSOPHIQUE, LIV. I.

est peut-être une faiblesse de notre nature ; mais que le premier scélérat venu puisse impunément persécuter l’innocence, et cela à la face de Dieu, voilà qui tient véritablement du prodige. C’est pourquoi un de tes familiers demandait, et avec raison : « Si Dieu existe, d’où vient le mal ? et d’où vient le bien, s’il n’existe pas29 ? » Soit, pourtant ; j’admets que des brigands, altérés du sang de tous les gens de bien et du Sénat tout entier, aient voulu me perdre, moi qu’ils ont toujours vu armé pour la défense des bons citoyens et du Sénat. Mais qu’ai-je fait pour que les Sénateurs me poursuivent de la même haine ? Tu te souviens, je pense, toi qui as toujours dirigé mes paroles et mes actions, tu te souviens, dis-je, de ce qui s’est passé à Vérone. Le Roi, qui avait juré la perte du Sénat, voulait impliquer l’Ordre entier dans l’accusation de lèse-majesté intentée à Albinus : avec quelle insouciance du danger n’ai-je pas soutenu son innocence30 ! Tu sais que je ne dis que la vérité, et que ce n’est pas ma coutume de chanter mes louanges. Le témoignage secret de la conscience perd quelque chose de son prix quand on se vante d’une belle action et qu’on s’en paye avec de la gloire. Mais tu vois à quoi m’a servi mon innocence. Au lieu de recevoir la récompense d’une vertu qui est bien mienne, je porte la peine d’un crime que je n’ai pas commis.

« Et quand est-il arrivé que, sur l’aveu même d’un coupable, il se soit trouvé des juges si unanimes à condamner que pas un d’eux n’ait incliné vers l’indulgence, soit par pitié pour la faiblesse naturelle à l’homme, soit à la pensée de l’instabilité de la Fortune, également à craindre pour tous les mortels ? Si l’on m’avait accusé d’avoir médité l’incendie des temples, le meurtre sacrilège de leurs ministres, l’extermination de tous les gens de bien, encore m’eût-on cité en personne, et n’eussé-je été condamné que sur mon aveu ou sur des preuves. Et c’est en mon absence,