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LA CONSOLATION PHILOSOPHIQUE, LIV. I.

ta question. Comment pourrais-je y répondre ? — Ne disais-je pas bien, reprit-elle, qu’il y a là une lacune qui, pareille à la brèche béante d’un retranchement, a livré l’accès de ton âme à la maladie qui la trouble ? Mais dis-moi encore. Te rappelles-tu quelle est la fin des êtres, et vers quel but tend toute la nature ? — Je le savais, répondis-je, mais le chagrin a émoussé ma mémoire. — Tu sais du moins d’où procède toute chose ? — Je le sais, » dis-je. Et j’ajoutai que c’est de Dieu. « Et comment peut-il se faire que, connaissant le principe des choses, tu ignores quelle en est la fin ? Au reste, ce sont là les effets ordinaires des passions. Elles ont assez de force pour ébranler un homme, mais non pour le déraciner et s’en emparer entièrement. Mais je voudrais encore que tu répondisses à ceci : Te souviens-tu que tu es homme ? — Et comment, dis-je, ne m’en souviendrais-je pas ? — En ce cas, pourrais-tu définir ce que c’est que l’homme ? — Tu me demandes apparemment si je sais que je suis un être vivant, doué de raison, et sujet à la mort ? Je le sais, et je conviens que je suis tout cela. » Mais elle : « Ne sais-tu pas que tu es encore autre chose ? — Non. — Il suffit, dit-elle. Je connais maintenant une nouvelle cause, la principale, du mal dont tu souffres : ce que tu es toi-même, tu ne le sais plus. Aussi, j’ai trouvé, sans doute possible, avec la cause de ta maladie, le moyen de te rendre la santé. C’est parce que l’oubli de ton être a troublé ton jugement, que tu te plains de ton exil et de la confiscation de tes biens. C°est parce que tu ignores la fin des choses, que tu attribues aux méchants et aux pervers la puissance et le bonheur. C’est parce que tu as oublié les lois qui gouvernent le monde, que les évolutions de la fortune te paraissent indépendantes de toute règle. Voilà des causes redoutables, je ne dis pas seulement de maladie, mais de mort. Mais rends grâces au dispensateur de la santé de ce que tu n’as pas été tout à fait abandonné par