LA CONSOLi\Tl’ON PHILOSOPHIQUE, LIV, Ill. 127 V
Et vous aussi, mortels dégénérés, vous conservez, bien
faible il est vrai et pareil à un rêve, le souvenir de votre
origine ; et votre pensée, si peu clairvoyante qulelle soit,
entrevoit confusément la béatitude, cette véritable fin de ·
llhomme ; de là vient que tout à la fois un instinct naturel
vous guide vers le souverain bien, et que nombre d’erreurs
vous en écartent. lîxamine, en effet, si les moyens par lesquels
les hommes se Hattent d’arriver à la béatitude sont
capables de les conduire au but. Si l’argent, les honneurs
et le reste peuvent procurer un bonheur qui ne laisse
rien à désirer, je l’avouerai moi-même, il est des hommes
que la possession de ces biens peut rendre heureux. Mais
si ces avantages ne peuvent tenir ce qu’ils promettent,
s’il y manque plusieurs conditions essentielles, n’est-il pas
évident qu’ils ne présentent qu’une fausse image de la
béatitude ? Je le demande à toi tout le premier, à toi
qui naguère regorgeais de richesses. Au milieu de tous
ces trésors, est-ce que ton âme n’a jamais été troublée
par le ressentiment de quelque injure ? — Certes, répondis-je,
je n’ai jamais joui d’une telle sérénité que
j’aie été un seul jour exempt de tout chagrin ; du moins,
je ne m’en souviens pas. — Ta peine ne venait-elle pas
de l’absence de quelque chose que tu aurais voulu voir
près de toi, ou de la présence de quelque autre chose
dont tu eusses voulu être débarrassé ? — Ciest cela,
dis-je. -·— Donc tu désirais la présence de llune de
ees choses et l’absence de l’autre. -·— Jlen conviens.
— Mais, reprit-elle, un désir, c’est un besoin. —-