Page:Boileau -Oeuvres complètes, tome 3 - ed. Garnier-1870.djvu/105

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ordre, se retiroient et s’alloient habiller. Voilà le sujet de mon prologue, auquel je travaillai trois ou quatre jours avec un assez grand dégoût, tandis que M. Racine, de son côté, avec non moins de dégoût, continuoit à disposer le plan de son opéra, sur lequel je lui prodiguois mes conseils. Nous étions occupés à ce misérable travail, dont je ne sais si nous nous serions bien tirés, lorsque tout à coup un heureux incident nous tira d’affaire. L’incident fut que M. Quinault s"étant présenté au roi les larmes aux yeux, et lui ayant remontré l’affront qu’il alloit recevoir s’il ne travailloit plus au divertissement de Sa Majesté, le roi, touché de compassion, déclara franchement aux dames dont j’ai parlé qu’il ne pouvoit se résoudre à lui donner ce déplaisir. Sic nos servavit Apollo. Nous retournâmes donc, M. Racine et moi, à notre premier emploi, et il ne fut plus mention de notre opéra, dont il ne resta que quelques vers de M. Racine, qu’on n’a point trouvés dans ses papiers après sa mort, et que vraisemblablement il avoit supprimés par délicatesse de conscience, à cause qu’il y étoit parlé d’amour. Pour moi, comme il n’étoit point question d’amourette dans la scène que j’avois composée, non-seulement je n’ai pas jugé à propos de la supprimer, mais je la donne ici au public, persuadé qu’elle fera plaisir aux lecteurs, qui ne seront peut-être pas fâchés de voir de quelle manière je m’y étois pris pour adoucir l’amertume et la force de ma poésie satirique, et pour me jeter dans le style doucereux. C’est de quoi ils pourront juger par le fragment que je leur présente ici, et que je leur présente avec d’autant plus de confiance, qu’étant fort court, s’il ne les divertit, il ne leur laissera pas du moins le temps de s’ennuyer. [1]

  1. D’Alembert semble croire que Bacine et Boileau n’avoient entrepris ce travail que pour mortifier Quinault:« Despréaux, dit-il, entreprit conjointement avec Racine un opéra, dans lequel ils crurent effacer ce poëte qu’ils méprisaient, et montrer la facilité d’un genre d’ouvrage dont ils ne parlaient qu’avec dédain. Despréaux en fit le prologue, que par malheur aucun musicien ne put venir à bout de mettre en musique; Orphée même y aurait échoué. » On ne voit rien de semblable dans l’Avertissement au lecteur de Boileau.