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BOILEAU.

Muse, c’est donc en vain que la main vous démange :
S’il faut rimer ici, rimons quelque louange ;
Et cherchons un héros, parmi cet univers,
Digne de notre encens et digne de nos vers.
Mais à ce grand effort en vain je vous anime :
Je ne puis pour louer rencontrer une rime ;
Des que j’y veux rêver, ma veine est aux abois.
J’ai beau frotter mon front, j’ai beau mordre mes doigts.
Je ne puis arracher du creux de ma cervelle
Que des vers plus forcés que ceux de la Pucelle[1].
Je pense être à la gêne ; et, pour un tel dessein,
La plume et le papier résistent à ma main,
Mais, quand il faut railler, j’ai ce que je souhaite.
Alors, certes, alors je me connois poëte :
Phébus, dés que je parle, est prêt à m’exaucer ;
Mes mots viennent sans peine, et courent se placer.
Faut-il peindre un fripon fameux dans cette ville ?
Ma main, sans que j’y rêve, écrira Raumaville[2].
Faut-il d’un sot parfait montrer l’original ?
Ma plume au bout du vers d’abord trouve Sofal[3].
Je sens que mon esprit travaille de génie.
Faut-il d’un froid rimeur dépeindre la manie ?
Mes vers, comme un torrent, coulent sur le papier :

  1. Chapelain, l’auteur de ce poëme, laisse toujours sentir, même dans ses plus beaux passages, l’effort et le travail ; aussi Boileau prétendait-il qu’il tenaillait son cerveau :

    Maudit soit l’auteur dur dont l’âpre et rude verve,

    Son cerveau tenaillant, rime malgré Minerve.

  2. Pour Somaville, libraire.
  3. Altération du nom de Henri Sauval, qui publia postérieurement un ouvrage d’une grande érudition, les Antiquités de Paris. Boileau ne pouvait pas alors sous l’auteur des Amours des rois de France prévoir le savant distingué, puisque les Antiquités de Paris ne furent publiées que longtemps après sa mort.